(Billet 1011) – France/Maroc : fin du prisme ou "العْداوة ثابتة والصْوابْ إيكون"
Ce n’est plus la grande brouille d’hier, mais ce n’est pas encore le fol amour d’antan… Entre la France et le Maroc, la relation abîmée est en train d’être retapée, mais les faits et gestes des uns et des autres montrent une certaine fébrilité, comme si on avait conscience de devoir faire quelque chose, mais sans savoir quoi exactement. Le Maroc sait ce qu’il veut, la France aussi, un peu, mais aucun ne se résout à y aller résolument.
La position du Maroc. Elle est clairement et explicitement exprimée depuis août 2022 par cette phrase royale devenue fameuse : « Le dossier du Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc considère son environnement international. C’est aussi clairement et simplement l’aune qui mesure la sincérité des amitiés et l’efficacité des partenariats qu’il établit ». Le chef de l’Etat ajoute, pour une meilleure compréhension : « S’agissant de certains pays comptant parmi nos partenaires, traditionnels ou nouveaux, dont les positions sur l’affaire du Sahara sont ambiguës, Nous attendons qu’ils clarifient et revoient le fond de leur positionnement, d’une manière qui ne prête à aucune équivoque ». Alors, face aux appels du pied insistants des Français, les Marocains observent, perplexes, ces mêmes Français venus clairement claironner vouloir faire des affaires au Maroc, Sahara compris, sans plus.
La position de la France. En gros, la France se situe toujours dans cette très opaque pensée présidentielle du « en même temps ». L’Algérie et le Maroc, « en même temps ». Le « quoi qu’il en coûte », n’est pas applicable ici, car Emmanuel Macron n’est pas disposé à sacrifier ses relations avec l’un et l’autre, bien qu’il ait abîmé les deux. Et contrairement à ce qui se dit et s’écrit, Rabat ne s’offusque aucunement et ne s’est jamais senti offensé par un rapprochement entre Paris et Alger, les deux pays étant souverains et libres de contracter avec qui ils veulent, mais la situation est devenue telle entre les deux grands pays du Maghreb que Paris ne peut satisfaire les demandes de l’un sans irriter l’autre.
Cela est le fruit d’une ancienne, très ancienne politique de duplicité de la France, ancien pays colonisateur, au Maghreb. Et ce qu’a récemment dit M. Macron sur le Rwanda est valable, dans d’autres circonstances, au Maghreb : la France aurait pu et pourrait trouver la solution au conflit du Sahara, mais n’en a pas eu et n’en a toujours pas la volonté. Pourquoi ? Parce que, en sa qualité d’ancienne puissance coloniale, elle détient les archives, les cartes, les procès-verbaux des réunions de délimitation et de démarcation des frontières, la relation des faits et leurs effets… et parce que, toujours en sa même qualité, elle dispose d’une sorte de « procuration » internationale sur la région, dans le sens où la position qu’elle adopte est retenue par les autres puissances.
Or, depuis 2020, le Maroc a décidé de faire valoir ses droits légitimes et historiques, et de montrer sa mauvaise humeur devant tout ce temps perdu à négocier au lieu de commercer et d’avancer. La France d’Emmanuel Macron a mis du temps pour comprendre et, une fois qu’elle a commencé à prendre la mesure de la chose, elle a entamé sa politique de petits pas et de petites phrases,
de petites avancées faites par de « petits » responsables, Stéphane Séjourné puis Franck Riester.
Face à l’intransigeance du Maroc et, plus grave et plus inhabituel, des Marocains, communiquée à sa capitale par l’ambassadeur de France à Rabat qui est venu, a vu et… a bien compris le problème, son ampleur et la conduite à tenir, Paris lâche du lest, en décidant dans sa grandeur habituelle de financer des projets économiques au Sahara. On brandit Proparco, on dégaine l’AFD, et on enchaîne avec de grandes envolées oratoires sur l’amitié entre les deux pays. Et on pense que le problème est réglé !
C’est bien, mais ce n’est absolument pas suffisant car, cette fois, la brouille est différente, elle est bien plus profonde en ce sens que l’opinion publique marocaine est impliquée. Avant, les crises et incompréhensions se limitaient aux chancelleries et étaient réglées à l’abri des regards, dans les salons rbatis ou parisiens. Aujourd’hui, et depuis l’affaire des restrictions des visas et des attaques répétées contre le royaume par ce que Serge Halimi appelle le « journalisme de meute », les Marocains sont la tierce partie du conflit entre les deux Etats, attachés au « prisme » royal et attentifs et rétifs à tout ce qui se fera avec tout pays, dont la France, qui ne s’exprimerait pas clairement sur la marocanité du Sahara.
Et les écarts de richesse et de PIB n’y changeront rien, comme le souligne très justement Emmanuel Todd, dans « la défaite de l’Occident » : « le concept de PIB est périmé et nous devons désormais réfléchir sur le rapport de l’économie politique néolibérale à la réalité »; et la réalité marocaine, malgré son PIB étique de 140 milliards USD, c’est son ancrage à les nouveaux métiers mondiaux, la politique portuaire, la stratégie africaine, le multilatéralisme actif, l’hydrogène vert et la transition énergétique… autant d’atouts qu’ont parfaitement compris d’autres Européens, comme l’Espagne et l’Allemagne, ou comme le Royaume-Uni s’apprête à le comprendre à son tour.
La question aujourd’hui est de savoir si avec les mots mal assurés de M. Séjourné et les propos benoîtement assumés de M. Riester, la France entre dans le « prisme » défini par le roi Mohammed VI, ou si le Maroc a renoncé à ce prisme pour la France, sachant que ce qu’on appelle des avancées dans les relations des deux pays n’en sont pas. La preuve ? Les Algériens ne se sont pas énervés !... car le phénomène est mécanique : si le Maroc est satisfait, Alger ruera dans les brancards, et si Alger ne dit rien, c’est que le Maroc n’a pas eu ce qu’il attend. Il faut donc croire que ce qu’a dit Stéphane Séjourné et ce qu’a répété avec un tout petit plus de détails Franck Riester n’est que broutilles. La France ne semble pas encore résolue à franchir le pas au Sahara, elle veut juste y faire des affaires et s’implanter dans une région prometteuse, comme au bon vieux temps du 19ème siècle.
Ainsi, l’accueil réservé par M. Bourita à M. Séjourné en février, puis la présence de tant d’officiels marocains, ministres, banquiers et autres, aux activités de M. Riester cette semaine entrent sans doute dans le cadre de « العْداوة ثابتة والصْوابْ إيكون ».
Aziz Boucetta