(Billet 1050) – Le gouvernement entre la confiance de l’étranger et la défiance locale
Dans le monde d’aujourd’hui, il faut être soit puissant soit rassurant ; les pays puissants peuvent se permettre le luxe de ne pas être rassurants, et ils se le permettent allègrement, et les pays qui rassurent le sont pour mieux aspirer à la puissance, avec quelque chance de succès. Le Maroc est dans ce cas, et plusieurs des événements de ces derniers mois l’attestent et prouvent cette confiance accordée au royaume, malgré une gouvernance intérieure perfectible, très perfectible.
Quand on a la confiance des bailleurs de fonds, on peut effectivement se projeter dans l’avenir et mettre au point ses différentes stratégies et programmes nationaux. Cette dernière année, le Maroc a su gagner plusieurs batailles sur ce plan.
1/ Victoire relative au CIRDI. Le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements relève de la Banque mondiale et il est chargé de ce que son nom indique et, en l’occurrence, il a statué sur le litige opposant l’Etat marocain au groupe Corral de son propriétaire Mohamed al-Amoudi, pour l’affaire de la Samir, cette raffinerie nationale en déshérence, hier fierté et aujourd’hui en souffrance. M. al-Amoudi réclamait 2,7 milliards de dollars pour règlement de son litige avec l’Etat marocain, il en a obtenu 150 millions, soit 6%, mais il aura laissé une ardoise de 40 milliards de DH, soit 4 milliards de dollars, soit encore 3% du PIB ! Le Maroc ne s’estime pas pour autant rétabli dans ses droits car il souhaitait une « relaxe » pure et simple. Peut-être fera-t-il recours de la décision du CIRDI, et peut-être aura-t-il raison de le faire.
2/ Le Gafi. En février dernier, le Groupe d’action financière a décidé, à l’unanimité de ses membres, de sortir le Maroc de sa liste de surveillance renforcée, communément appelée liste grise. Il aura fallu pour cela que le royaume mette en conformité son dispositif national de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme avec les normes internationales. On peut se demander pourquoi ce n’était pas le cas avant, mais désormais, c’est chose faite. Cela étant, le Gafi a-t-il été créé pour l’action financière, ou la pression politique sous couvert de finance ?... La question mérite d’être posée.
3/ Les assemblées générales annuelles du FMI et de la Banque mondiale. On s’en rappelle, les assemblées générales annuelles des deux institutions s’étaient tenues début octobre 2023, à la grande joie des Marocains car un mois seulement après un séisme ravageur qui a frappé le pays, dans la région même de Marrakech où se réunissaient ces 15.000 délégués venus du monde entier. Quelques années auparavant, le Maroc avait bénéficié de plusieurs Lignes de Précaution et de Liquidité de plusieurs milliards de dollars auprès du FMI, remplacées depuis par la meilleure Ligne
de Crédit Modulable, « faveur » accordée par le FMI au vu des solides fondamentaux économiques et cadres institutionnels.
Question confiance faite au Maroc par les financiers internationaux, on peut dire que le job a été fait. Le Maroc revoit son dispositif légal sur les établissements et entreprises publics, adopte finalement sa Charte d’investissement et mobilise le financement pour les investissements. C’est une bonne chose. Avant sa suspension, le feu Doing Business rangeait le Maroc aux alentours du 50ème rang mondial, suite à une montée spectaculaire dans ce classement.
Mais pour la confiance en interne, elle pose problème car définir, arrêter, préciser et lancer des politiques publiques nécessite qu’il y ait suivi, évaluation et contrôle de ces politiques, de leurs convergences, ainsi que l’édification de passerelles entre elles, et cela n’est pas encore tout à fait au point, loin s’en faut.
Il semblerait que le Maroc officiel soit bien plus attentif aux remarques et exigences venues de l’étranger qu’à celles formulées sur le plan domestique. Tout laisse penser qu’il y ait un Maroc qui fonctionne à deux étages, celui du gouvernement qui agit comme il l’entend et ne se sent responsable et redevable devant les citoyens que dans les périodes électorales, et celui de la société, des électeurs, qui restent inaudibles dans leurs observations et revendications.
Or, les observations et revendications sont légion dans le pays, mais elles se heurtent à un mutisme qui, tôt ou tard, sera préjudiciable pour le pays, car c’est un mutisme qui confine tantôt à ce qui ressemble à de l’indifférence, tantôt à de l’arrogance, quand ce n’est pas tout simplement de l’inconscience. Ainsi, quid de la question de la Samir, maintenant que la décision du CIRDI a été rendue ? Quelle politique agricole penser alors que le Maroc subit sa 6ème année consécutive de sécheresse et que, comme le suggère Ahmed Lahlimi, une réforme aussi vaste que globale doit être menée dans ce secteur sinistré de l’agriculture ? Et la santé, très ambitieuse mais dépourvue de médecins et d’infirmiers ? Et l’éducation, où le ministre et ses équipes ont déployé leurs grandes ailes de technocrates, brisées net en décembre par les godillots politiques et leurs affidés… ? Et l’emploi ? Ah, pour l’emploi, le problème est réglé, McKinsey s’en occupe, même si le CESE, le HCP, certains partis politiques ou encore l’Alliance des économistes istiqlaliens ont produit des tonnes d’études sur le sujet… Mais McKinsey est étranger et tous ces gens sont Marocains !
Etrange pays donc que ce royaume qui fait tout et même plus pour briller à l’international mais rien, ou presque, pour gagner la confiance de ceux qui l’ont élu. Le Maroc continue de se regarder dans les yeux de l’étranger alors qu’il devrait se fonder, d’abord, sur les siens…
Aziz Boucetta