(Billet 1044) – Le Festival Gnaoua Musiques du monde, c’est aussi de l’atlantisme

(Billet 1044) – Le Festival Gnaoua Musiques du monde, c’est aussi de l’atlantisme

Et comme chaque année, chaque fin de juin, les amateurs de la musique gnaoui et de l’infinité de fusions qu’elle permet se retrouvent festivement à Essaouira, dont le visage devient encore plus souriant qu’à l’accoutumée. Plus souriant, oui, car cette ville cosmopolite retrouve ses dizaines de nationalités entremêlées, colorées, bigarrées, dansantes, aux allures différentes, aux langues diverses, mais qui parlent toutes la langue gnaoui, celle du vivre-ensemble, de l’altruisme et de l’humanisme. Et aussi, et surtout, de la gentillesse.

Mais attention, ne nous y trompons pas, si chaque année, les festivaliers festoient bruyamment, dansent frénétiquement devant les scènes, déambulent nonchalamment dans les rues, s’bécotent (discrètement) sur les bancs publics, le festival, lui, avance, évolue, mûrit, s’engage, milite… Le fait même d’imaginer ces fusions tout droit sorties du cerveau tout en gamme du directeur artistique Karim Ziad est en soi un acte militant ; faire rencontrer le mandingue sénégalais et la dakka marakchiya est un acte militant, tout comme accoler les sons créoles aux complaintes gnaoui, et mettre sur la même scène des musiciens, chanteurs et danseurs du Brésil, de Côte d’Ivoire, d’Espagne et du Maroc est un hymne à une humanité apaisée mais aussi un appel à cet atlantisme dont le Maroc se fait le chantre ces dernières années. Et cela est là aussi du militantisme.

L’atlantisme, c’est également le traditionnel Forum des droits de l’Homme qui, à chaque édition, aborde un thème particulier. Cette année, les organisateurs ont décidé de revenir sur ce désormais fameux trio « historico-contemporain » Espagne-Portugal-Maroc qui, bien évidemment, renvoie à la pas si lointaine Coupe du monde de football dont l’organisation a été confiée à ces trois nations. Mais ces trois pays sont aussi également impliqués dans l’atlantisme, à travers leur histoire pour l’Espagne et le Portugal, et pour le Maroc, son histoire aussi, ses 3.000 km de côtes atlantiques et son initiative atlantique.

L’initiative atlantique du Maroc… oui, le festival Gnaoua musiques du monde la reprend à son compte, l’endosse et contribue à son développement et à son avancée ; il ne le dit pas, il ne le clame pas, il ne le proclame pas, mais il le fait. Les Etats discutent entre eux, mais ils ont toujours des arrière-pensées, des calculs, des intérêts, des pressions, des attentes et des mésententes ; pour faciliter ces dialogues interétatiques, ces discussions politiques et...

autres bras de fer diplomatiques, il n’y a rien de mieux que faire parler les gens, rapprocher les cultures, souligner les différences pour mieux les gommer, et les remplacer par des convergences. Et c’est ce qu’a fait le festival Gnaoua Musiques du monde.

Est-ce un hasard que la directrice et fondatrice de ce festival Gnaoua et Musiques du monde, Neila Tazi, soit également la présidente de la commission (entre autres choses) des Affaires étrangères à la Chambre des conseillers ? Certainement pas. On ne peut penser, créer, réussir, maintenir et faire prospérer un tel festival, qui compte désormais parmi les plus grands au monde (oui, au monde), sans être engagé politiquement, et c’est le cas de Mme Tazi qui, à bas bruit, a mis en place cet aimant civilisationnel, atlantique, qu’est le festival Gnaoua… le festival Gnaoua à Essaouira.

Est-il anodin de faire parler en notes et en sons des musiciens venus d’Amérique et d’Afrique, pour raccorder non seulement leurs instruments mais aussi dialoguer à travers eux, partager les sonorités, sublimer l’universalisme de la musique et de la culture ?

Est-ce banal de voir que l’université Berklee, la plus grande université de musique au monde, ou presque, a conclu un partenariat avec le Festival Gnaoua Musiques du monde et a envoyé en missi dominici chantants et dansants, pour apprendre des Africains, comprendre les Africains, et créer ainsi une passerelle culturelle entre les deux rives de l’Atlantique ?

Ce qu’ont réussi à faire Neila Tazi et ses équipes est un acte culturel certes, mais aussi une posture diplomatique, inscrite en droite ligne de cette belle initiative atlantique. Et il n’y a pas que les Américains qui soient intéressés par Essaouira et son festival : Chanteurs, compositeurs et musiciens du Sénégal, de Sierra Leone et d’autres pays atlantiques se joignent à cette initiative et s’arriment au festival pour accorder leurs esprits et montrer le chemin aux politiques.

Car si l’initiative atlantique est une stratégie payante, elle ne saurait aucunement prospérer par la seule grâce de la politique. Les peuples doivent se parler, les cultures se rencontrer, les jeunes échanger, les universités partager, les entreprises contracter. En attendant que la diplomatie marocaine se mette, vraiment, en ordre de marche pour pousser et hisser l’idée et l’idéal atlantiques, la culture le fait déjà, et le festival Gnaoua Musiques du monde en particulier.

Aziz Boucetta