(Billet 1052) – La Samir, ou le raffinement de la mauvaise gouvernance

(Billet 1052) – La Samir, ou le raffinement de la mauvaise gouvernance

Il y a des moments dans la vie des nations où il faut se rendre à l’évidence et appeler les choses par leur nom et, en l’occurrence, dire et conclure que ce Maroc, dans sa configuration actuelle, avec sa présidence du gouvernement actuelle, n’est pas à la hauteur des aspirations de son peuple. L’affaire désormais emblématique de la Samir en forme un excellent exemple.

Cette affaire regroupe et agrège l’ensemble des griefs que l’on peut reprocher au chef du gouvernement Aziz Akhannouch, et parmi eux l’indifférence avérée, la mauvaise gouvernance possible, le conflit d’intérêt probable et la non-communication portée à un stade critique, dramatique, quasi ultime. Et cela vaut aussi pour les chefs de gouvernement depuis Abbas el Fassi, qui a laissé le patron de Corall Mohamed al-Amoudi, sheikh de son état et détenteur de la Samir, agir à sa guise et ne pas honorer ses engagements depuis le rachat de la raffinerie pour juste un peu plus qu’une bouchée de pain ; et depuis Abdelilah Benkirane aussi, qui a décidé la décompensation des produits pétroliers sans se soucier des travers de cette démarche, comme l’entente entre opérateurs, confirmée et actée, la mise en péril de la sécurité et de la souveraineté énergétiques, avérée, l’atteinte au pouvoir d’achat des populations, confirmée.

Cela fait plusieurs années que le débat fait rage autour de la question de la réouverture ou non de cette raffinerie qui fit les beaux jours de la politique de sécurité et de souveraineté énergétiques du pays. Les syndicats, les médias, les universitaires, certains partis politiques… tout ce monde a exprimé son avis, apporté ses arguments, proposé ses solutions, face à une position dure du gouvernement, impassible. Le manque de courage et d’action des différents exécutifs ont coûté au pays la somme de 40 milliards de DH de pertes de la Samir, près de 3% du PIB national, sans compter les dégâts commerciaux et socio-économiques qui n’échappent plus à personne.

Reprenons… Des cours internationaux volatiles, une raffinerie en faillite puis en arrêt, la dépendance de tout un pays à un « cartel » d’importateurs (que rien n’empêche de raffiner et de stocker ailleurs, renchérissant à leur guise le cours à l’import), des prix à la consommation qui flambent… pendant que le gouvernement regarde ailleurs.

A qui cela profite-t-il ? La réponse paraît facile, même si la complexité du dossier doit empêcher de tomber dans la facilité. Mais la réponse paraît facile, quand même… Tous les observateurs, officiels ou officieux, épinglent l'enrichissement de certaines personnes morales à travers les superprofits engendrés et non suffisamment taxés,


et ils dénoncent aussi l’amalgame entre le politique et l’économique, étant entendu que le Conseil de la concurrence a proclamé et entériné l’entente illicite entre les compagnies de distribution, à travers une amende unanimement considérée comme insignifiante mais une amende établissant la « culpabilité » des concernés.

Aujourd’hui, le CIRDI, organisme d’arbitrage relevant de la Banque mondiale, et en dépit de la « petite » amende infligée au Maroc (150 millions $) comparativement à ce qui était réclamé par le propriétaire passablement escroc (2,7 milliards $), a dit en substance que le Maroc avait tenu ses promesses et s’était même engagé plus qu’il ne le devait. Qu’attend le gouvernement pour trouver une solution à cette affaire qui appauvrit les Marocains ? Pourquoi ne réouvre-t-il pas cette raffinerie en la mettant au niveau exigé ? Pourquoi n’envisage-t-il pas de construire une autre raffinerie ? Qu’a-t-il fait de cette injonction royale, exprimée dans le premier discours adressé à la nouvelle majorité en octobre 2021, sur la nécessité absolue d’une souveraineté et d’une sécurité énergétiques (entre autres) ?

Et par-dessus tout, pourquoi M. Akhannouch se mure-t-il encore dans son silence ? C’est la question qu’il faut poser, et qui attend la réponse. Une réponse d’autant plus importante et primordiale, fondamentale, que M. Akhannouch, dans une autre vie, fut dirigeant du plus grand distributeur de carburants du royaume et que le conflit d’intérêt est plus que probable… et parce qu’il est plus que probable, il pourrait être de nature à former cet épouvantail invisible pour des investisseurs étrangers. M. Akhannouch, et c’est bien le moins qu’il puisse faire, devrait rassembler tout son courage et son charisme et accepter le débat car, un jour ou l’autre, il devra rendre des comptes, avec ses deux prédécesseurs Abdelilah Benkirane et Saadeddine Elotmani.

La constitution évoque la reddition des comptes, sachant que reddition des comptes ne signifie pas forcément culpabilité ou responsabilité, quand le « rendeur » de comptes est blanc. Mais la reddition des comptes est nécessaire, car c’est cela la démocratie et l’Etat de droit, les vrais. Plusieurs partis politiques, le Front de sauvegarde de la raffinerie et d’autres encore réclament des explications, que le gouvernement et son chef se refusent à apporter, jouant et se jouant des différents paramètres de cette affaire, et nuisant aux Maroc et aux Marocains.

La démocratie, c’est bien, mais parfois elle a un prix, et même et un coût, et c’est le cas au Maroc dans cette affaire de la Samir dont la mauvaise gestion explose aussi bien les profits de certains entrepreneurs que les charges de tous les autres citoyens.

Aziz Boucetta