(Billet 1046) – Elections françaises, le baroud d’honneur

(Billet 1046) – Elections françaises, le baroud d’honneur

Quel dynamisme ! Quelle dynamique ! Quelle vivacité ! Et, disons-le, quel beau spectacle que celui de cette démocratie française en marche (dans le premier sens de l’expression, non de sa déclinaison politique). Ces élections législatives en France ont montré toute l’étendue de ce que peuvent être un débat public, des antagonismes politiques, une compétition électorale et de comment peut s’effectuer un sursaut populaire, républicain comme on l’appelle en France. Sauf que tout cela n’est qu’un baroud d’honneur, pour repousser le déshonneur.

Vu de l’étranger, voici comment a évolué la démocratie en France, à travers ses élections présidentielles régulières. Jusqu’en 2007, avec des candidats, élus ou non, nés avant la Seconde guerre mondiale, ayant connu la IVème République, la guerre d’Algérie, la décolonisation, de Gaulle ; ces personnalités avaient un certain sens de la République, de la France, du peuple de France et du sens d’une élection. En accord avec eux ou pas, force est de leur reconnaître leur ancrage et leur savoir-faire politique. Puis de 2007 à 2017, la décennie de la bascule, avec Nicolas Sarkozy, l’homme qui n’hésite pas à réfléchir en se rasant, et François Hollande, le président qui n’hésite pas à enfourcher sa moto pour s’en aller chez sa bien-aimée, le président hyperactif vs le président normal, le président qui divorce en plein mandat et celui qui refuse le mariage pour lui, mais l’autorise pour tous, le flambeur bling bling et Flamby, le sécuritaire et le pépère…

Ces deux-là, chacun à sa façon, ont abîmé la Vème République, le premier emporté par sa fougue de trop en faire et le second péchant par manque de savoir-faire. Et cela aboutit à un désastre politique, institutionnel et psychologique, qui a pour nom Emmanuel Macron. Ce dernier détruit tout sur son passage, la droite et la gauche, mais là où l’on pensait que c’était une stratégie, les Français s’aperçoivent que c’est un tempérament ; Emmanuel Macron a détruit la cohésion sociale, l’espoir dans la politique, la confiance en les politiques, les relations avec l’Afrique et le reste, le prestige de la présidence de la République, et cette fameuse polarité politique qui a fait les grands jours de la démocratie française…

Pendant ce temps, l’afFront avance, lentement, sûrement, grignotant à chaque élection des parts de l’électorat, séduisant à chaque scrutin de nouveaux partisans, des accidentés de la vie ou des amputés de la morale humaine… le Menhir s’effrite, se délite, puis s’alite, mais ses idées demeurent, avancent et prospèrent, même si c’est sous une forme et un emballage différents ; Jordaaaan arrive, feuille de vigne de Marine, Tik Tok à la main, Instagram en bandoulière, souriant...

de toutes ses dents et dézinguant à tour de bras, gros de préférence.

Et le Front gagne du terrain, mobilise, rassemble, devient Rassemblement, dédiabolisé, tiktokisé, plus fréquentable car en apparence moins xénophobe, moins démoniaque. Les Français moyens succombent au charme souriant de Jordaaaan, que ses mentors ont décidé de placer à Matignon pour tenir la place jusqu’en 2027 puis sauter, exploser au bon moment et disparaître (politiquement) à jamais. La Marine aura bien manœuvré, écartant officiellement le père et engageant artificiellement un jouet à qui elle laisse la latitude de prendre quelques décisions et de couper quelques têtes.

Là, cette fois, pour cette élection 2024, le RN et sa marraine, Marine, y étaient presque. Ils y seraient même déjà si les Français n’avaient pas eu si peur de ce ciel qui leur tombait sur la tête, si la gauche ne s’était rassemblée comme un seul homme mais pas autour d’un seul homme, si plusieurs de ses candidats ne s’étaient désistés (sans forcément attendre de retour, qu’ils n’ont d’ailleurs pas obtenu), si les électeurs n’avaient finalement compris le rôle des médias, tenus en laisse, attaquant en meute, tenus par des gens qui voyaient bien la Marine au gouvernail et les étrangers rentrer au bercail, des gens qui, pour dédiaboliser le RN, ont diabolisé la gauche ; il faut bien un diable en France, que Diable !

Mais il a le temps, le RN, pour accéder à la tête de l’Etat. Cette fois, en 2024, ils se sont mis à plusieurs pour le freiner et, ce faisant, avec Emmanuel Macron, ils ont créé la pagaille et la chamaille, mais combien d’élections ce front républicain, autoproclamé populaire mais finalement bipolaire tiendra-t-il ? Pour quelles raisons les Français, hélas prompts à se tirer des balles dans le pied, éreintent-ils un Mélenchon qui, pourtant, qu’ils l’admettent ou non, est à l’origine de ce front populaire ? Pas grave, le RN se donne le temps pour accéder au pouvoir par les urnes car, comme on dit, selon l’expression consacrée, il ne le quitterait que par les armes.

Alors, résultat de tout cela ? Le RN est cornerisé, abandonné à sa rage d’attendre encore un peu et, sous peine de rendre ce grand pays ingouvernable, les ennemis d’hier devront composer, s’allier, se parler en se pinçant le nez, en se bouchant les oreilles et en fermant les yeux. De toutes les façons, cela ne durera pas longtemps car dans un an, il y aura ou dissolution ou démission.

Mais tout cela n’est qu’une sorte de baroud d’honneur qui masque mal l’extraordinaire bras d’honneur donné à la France jadis des Lumières.

Aziz Boucetta