(Billet 1051) – Gaza, la banalisation du mal

(Billet 1051) – Gaza, la banalisation du mal

Lorsque, en 1963, Annah Arendt parlait de la « banalité du mal », il ne s’agissait aucunement de le « banaliser », bien au contraire, le mal étant les crimes commis par les nazis dans l’Europe des années 30 et surtout 40 du siècle dernier. Mais l’expression a connu un succès planétaire à mesure que l’étendue du mal causé par les Allemands et leurs affidés apparaissait au grand jour, aidé en cela par une robuste propagande mémoriele... Ce qui se produit aujourd’hui à Gaza est similaire, un mal qui, à force de banalisation, s’expose au risque de la banalité.

Un long débat avait suivi l’utilisation de cette expression et la question de savoir s’il s’agissait de banalité ou de banalisation du mal, concernant la politique nazie. Les deux mots ne sont pas identiques et s’inscrivent dans un processus psycholinguistique particulier. La « banalité » signifie que le comportement des nazis pouvait être repris à leur compte par d’autres régimes ou dictateurs et la « banalisation » indique une normalisation de cette banalité. Or, que se passe-t-il aujourd’hui à Gaza ?

Une tuerie, un massacre, un début de génocide contre un peuple entier. Et pour ceux qui, dans le but de disculper les chefs israéliens, se réfèrent à la définition du génocide par la Convention onusienne de 1948 et insistent sur l’ « intentionnalité » de détruire un groupe national, il n’est qu’à se référer aux déclarations des responsables politiques et militaires (affamer, isoler, encercler, déplacer…), au nombre de morts, aux « opérations » meurtrières menées pour abattre un dirigeant du Hamas, la capacité des chefs israéliens à justifier les actes les plus ignobles… et surtout, par-dessus tout, ceux qui doutent de l’intention génocidaire de Netanyahou et ses complices nationaux et/ou occidentaux devrait imaginer ce qui se serait produit et ce qu’auraient fait ces gens s’il n’y avait eu ce tollé mondial contre l’agression de Gaza !...

Or, aujourd’hui, entre les élections britanniques et le bouleversement qui s’en est suivi, la situation quasi kafkaïenne que connaissent les Français qui vivent avec un président « malgré eux », les coups de théâtre, et de feu, sur la scène politique américaine, les grands médias internationaux ont la possibilité  de passer sous silence les tueries à Gaza, qui se poursuivent, se perpétuent et s’aggravent de jour en jour. Que le procureur de la CPI décide de demander des mandats d’arrêt contre Netanyahou et Gallant n’est pas fortuit, et même si ce mandat tarde à arriver, il finira par être délivré, sinon c’est tout le droit international qui devra être revu, après avoir été jeté à la poubelle.

Aujourd’hui, donc, il est devenu presque « banal »


d’apprendre qu’une école sous protection de l’ONU à Gaza a été bombardée, qu’un hôpital a été détruit, que des fonctionnaires ONU ou des journalistes ont été sciemment visés et déchiquetés, chaque fois, chaque bombardement, chaque action, chaque attaque occasionnant des morts par dizaines voire centaines… Il est encore plus « banal » de voir des Israéliens détruire des vivres envoyés par ce qui reste de la communauté internationale à un peuple en détresse… Il est toujours plus « banal » de constater que les chancelleries occidentales, hormis quelques gémissements convenus, n’expédient rien ou presque à ce même peuple… Il est aussi douloureusement « banal » de voir l’état quasi végétatif des séquestrés palestiniens libérés, après des mois de maltraitances et de souffrances…

La banalité du mal, enfant de sa banalisation, est en réalité une ignoble déshumanisation des « inventeurs » des droits humains, des droits de l’Homme… ces peuples qui ont posé les grands principes de l’égalité, du droit à la vie, du droit des enfants, toussa, on les voit aujourd’hui totalement indifférents à cette extermination déclarée des Palestiniens, et n’eût été l’indignation mondiale, l’exaspération des jeunes et des étudiants occidentaux sur les campus, et certains responsables politiques qui se souviennent de leurs principes (et aussitôt qualifiés d’antisémites), nous en serions à des centaines de milliers de morts, morts occasionnés avec la complicité des occidentaux.

Il est heureux qu’aujourd’hui existent les réseaux sociaux, qui continuent, inlassablement, régulièrement, quotidiennement, de rapporter les faits et surtout les méfaits commis par les soldats israéliens à Gaza, rappelant qu’on ne le veuille ou pas le massacre du ghetto de Varsovie, perpétré par les SS sur la population juive civile de la capitale polonaise en 1943 (illustration droite).

Qu’est-il arrivé à notre monde pour assister à un génocide ou ce qui y ressemble beaucoup, sans bouger ? Et quand on parle de monde, c’est du monde occidental qu’il s’agit, dont les dirigeants fournissent des armes à Israël et la protègent contre le droit international dont ils sont pourtant les concepteurs, dont les médias orientés et de plus en plus propagandistes véhiculent des mensonges et multiplient les attaques contre les pacifistes ou les humanistes, et dont les populations lobotomisées croient benoîtement, bêtement même, ce qu’on leur sert et ce qu’on leur raconte, n’ayant même plus la capacité de douter en voyant les standards humanistes appliqués différemment ici et là…

Oui, ce mal que nous voyons aujourd’hui, bien malheureusement, se banalise. Mais il ne deviendra jamais, fort heureusement, une banalité. L’Histoire est là, pour juger, avec son panthéon pour les victimes et sa poubelle pour leurs tourmenteurs.

Aziz Boucetta