(Billet 1010) – Visas Schengêne, Nasser Bourita interpelé au parlement
La souveraineté des Etats, comme on dit de nos jours, c’est important, mais cela marche dans les deux sens, chaque pays étant en droit de prendre des décisions qui conviennent à ses politiques publiques et qui satisfont ses citoyens. Cela nous conduit, encore une fois, à la question des visas Schengen. Le groupe PPS à la Chambre des députés vient d’interpeller le ministre des Affaires étrangères au sujet des nombreux et injustifiables dysfonctionnements relevés dans le circuit d’attribution des visas.
La politique de contrôle de l’immigration en Europe, compréhensible dans ses objectifs et louable à ses débuts, est devenue avec le temps synonyme d’arbitraire systémique et d’humiliation systématique pour les citoyens marocains demandeurs de visas Schengen. A l’origine, tous ces gens se dirigeaient vers les consulats des pays où ils voulaient se rendre et retiraient leur passeport, avec ou sans visa, quelques jours après l’avoir déposé, au consulat. Puis, les procédures ont été externalisées vers des sociétés privées (TLS, VFS…), avec un resserrement progressif des conditions et des difficultés croissantes pour l’obtention des nécessaires rendez-vous.
Et que pensez-vous que le Maroc fit en faveur de ses centaines de milliers de ressortissants soumis à cette politique décidée ailleurs ? Rien, du moins publiquement, si tant est qu’il y ait eu une réaction en coulisse.
Aujourd’hui, les passeports sont récupérés par la société privée, avec le dossier comprenant à peu près tout ce qui est important dans les existences des postulants et de leurs familles. Parfois, les passeports, remis à la société avec le dossier et qui sont pourtant des documents propriétés de l’Etat marocain, symbole de la souveraineté d’un Etat, ne sont restitués avec ou sans visa que plusieurs semaines après. Et malheur à celle, celui qui voudrait voyager dans l’intervalle et qui demande à récupérer son passeport ! Sa demande est souvent annulée avec la remise anticipée du passeport. Plus grave est la procédure à suivre pour obtenir le fameux rendez-vous auprès de la société privée… de plus en plus d’informations font état d’un véritable réseau de « courtiers » et autres « intermédiaires » qui vous vendent ce rendez-vous pour une somme d’environ 1.500 DH.
Et que pensez-vous que le Maroc fit en faveur de ses centaines de milliers de ressortissants soumis à cette politique décidée ailleurs ? Rien, du moins publiquement, si tant est qu’il y ait eu une réaction en coulisse.
Et c’est là que, heureuse surprise, un groupe de personnes nous rappellent que nous avons, ici au Maroc, un parlement, des députés, des partis politiques et même un gouvernement, avec un ministère des Affaires étrangères. Le groupe PPS a ainsi interpellé, ou questionné par écrit, le ministre Nasser Bourita sur les mesures prises ou à prendre par son département ainsi que des démarches entreprises auprès des chancelleries Schengen à Rabat ou de leurs gouvernements.
Jusque-là, on aurait pu imaginer, même difficilement, que le ministère marocain des Affaires étrangères n’était pas informé des retards, abus et autres anomalies enregistrés dans l’obtention d’un rendez-vous dans l’une des sociétés concernées, du détail des informations personnelles requises et de la « confiscation » des passeports des semaines durant. On aurait pu imaginer, oui… mais la lettre des députés PPS relate tout cela. Désormais, au ministère, ils savent…
… mais ils savaient à n’en point douter que l’une des sociétés, TLS en l’occurrence, avait été épinglée en janvier 2023 pour « indélicatesse » consistant à effectuer des transferts réguliers d’images extraites des vidéos de vidéosurveillance vers deux institutions gouvernementales à l’étranger. La CNDP (commission de la protection des données personnelles) avait promptement et vivement réagi, puis plus mollement, puis très discrètement… On n’en sait pas plus, un an après. Quant à une réaction du ministère sur cette affaire où des citoyens marocains semblent avoir été enregistrés à leur insu et leurs images envoyées « ailleurs », il ne semble pas non plus qu’il y en ait eu, du moins pas publiquement.
La question du groupe PPS est importante en cela qu’elle interpelle un ministère sur un de ses rôles les plus fondamentaux : la protection des citoyens. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas, lesdits citoyens sont toujours ballottés pour les rendez-vous, « rançonnés » pour les obtenir, obligés de livrer tous les détails de leurs vies, filmés à leur insu, empêchés de voyager en urgence puisque leurs passeports sont souvent retirés pour une semaine ou plus, et leur droit à la mobilité sérieusement entamé.
Aujourd’hui que le ministère, et avec lui le gouvernement, est officiellement interpelé, quelle sera sa réaction ? La décision souveraine des Etats Schengen ne doit pas devenir synonyme d’entrave aux libertés des Marocain(e)s, et le fait que ces derniers aient été enregistrés à leur insu devrait placer le Maroc en position de force pour négocier avec les Etats concernés. Et si le Maroc ne peut le faire seul, ce qui serait incompréhensible, il pourrait prendre la tête d’un groupe de pays logés à la même enseigne, essentiellement en Afrique, et plus particulièrement en Afrique francophone, pour imposer un plus grand respect des citoyens africains demandeurs de visas Schengen.
Rappelons qu’il n’existe aucun visa ni condition d’entrée, même souple, aux ressortissants Schengen. Alors si dans ce pays qu’est le Maroc, les non nationaux entrent comme dans un moulin, le moins que l’on puisse demander est que les Marocains puissent sortir de leur pays comme on sort, aussi, d’un moulin, c’est-à-dire sans visa ni procédures longues et difficiles, parfois impossibles.
Telle est donc la situation aujourd’hui. Le PPS a eu le mérite de poser la question au ministre Nasser Bourita. Le ministre Nasser Bourita aura-t-il le courage de faire une réponse qui respecte autant les députés poseurs de questions que les citoyens objet de la question ? L’avenir le dira, car il ne s'agit pas seulement pour notre diplomatie de faire respecter l'Etat, mais aussi ses citoyens !
Aziz Boucetta