(Billet 996) – Plaidoyer marocain pour la Méditerranée

(Billet 996) – Plaidoyer marocain pour la Méditerranée

Lors de sa récente conférence de presse avec son homologue français, le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita a répondu à l’unique question qui lui était destinée, mais passée plutôt inaperçue, masquée par le reste, le reste étant la présence et la raison de la présence de Stéphane Séjourné au Maroc. Cette question portait sur l’Union pour la Méditerranée (UpM), voulue par Nicolas Sarkozy en 2008 comme une machine de co-développement et de paix mais devenue avec le temps un machin inutile et inutilement budgétivore.

Constatons que comme pour le ministre français auquel la seule question posée venait de l’AFP et portait sur le Sahara, Nasser Bourita a eu droit aussi à une seule question, posée par la MAP. Si elles n’étaient pas « voulues », ces questions étaient quand même bienvenues, bien inspirées… La question était de savoir si le sujet de l’Union pour la Méditerranée avait été abordé par les deux ministres, et ce qui pouvait être fait par la France et le Maroc pour sortir l’union de sa situation actuelle, oscillant entre léthargie durable et coma profond.

La réponse du ministre Bourita fut un cours de géopolitique portant sur cet espace multidimensionnel qu’est la Méditerranée, réceptacle et vivier de bien des défis de notre temps, échanges Nord-Sud, migrations, sécurité alimentaire et sécurité tout court, brain drain… Si la France est la génitrice de cette Union, elle semble l'avoir oubliée pour se concentrer sur son espace européen, mais le Maroc, porteur également de l’idée à son origine, s’y est jeté corps et âme, s’y investissant, développant des projets, désignant deux secrétaires généraux successifs et s’acquittant de son obole annuelle (le seul pays de la rive sud à le faire).

Mais, toujours selon le chef de la diplomatie marocaine qui en parlait avec grande aisance face à un Stéphane Séjourné dont l’UpM ne semble pas être un sujet majeur, la léthargie de l’Union incarne la situation actuelle de cet espace dans son ensemble, globalement la sanctuarisation et l’enfermement de l’Europe derrière ses frontières, ses murs, grillages, barbelés, extrêmes-droites et Frontex, et aussi la méfiance grandissante du versant méridional de la Méditerranée à l’égard de la rive en face. C’est ce que M. Bourita appelle « la géopolitique de la peur et du rejet », expression heureuse sur le plan littéraire, à défaut de l’être dans la réalité, une sinistre géopolitique doublée et aggravée par des relents protectionnistes où les riches européens aspirent à l’être encore plus, accentuant d’autant l’appauvrissement ou au moins le ralentissement de l’Afrique. Et les mêmes raisons donneront les mêmes effets, encore et toujours, avec cette formule du ministre assénant


que pour le Nord, « tout ce qui vient du sud de la Méditerranée est problématique ».

Et de fait, la Méditerranée, c’est 30.000 morts noyés depuis dix ans, c’est Frontex qui regarde ailleurs et dont l’ancien directeur est devenu ami de Mme Le Pen, ce sont les droites xénophobes et identitaires qui fleurissent au sud de l’Europe, ce sont les massacres récurrents à Gaza et 30.000 morts en cinq mois, ce sont les guerres et guérillas en Libye… et ce sont aussi les conflits bilatéraux, Algérie-Maroc, Israël et ses voisins, Turquie-Grèce, Turquie-Union européenne, Balkans…

Nasser Bourita note également avec justesse que si l’UPM fonctionnait comme il avait été prévu, les questions libyenne et israélo-palestinienne auraient été résolues, ou au moins discutées, au sein de cette UpM. Et c’est la raison pour laquelle le ministre marocain interpelle les Européens et aussi les Etats du sud méditerranéen, à décider de ce qu’ils veulent faire de cette Union, une simple banque de projets et un cénacle où dignitaires de 40 pays se retrouvent, se sustentent copieusement et rient beaucoup, ou à l’inverse une organisation politique qui examine les problèmes et leur imagine des solutions. Pour lui, la France et le Maroc ont la légitimité, la connaissance et la responsabilité pour prendre le leadership de ce renouveau de l’UPM, même si le chemin du rabibochage entre Rabat et Paris reste sinueux et laborieux.

C’est ce qui fait la force de notre diplomatie (même si elle reste plutôt taiseuse en interne…), cette capacité à se projeter dans les différents espaces qui la bordent, notre « étranger proche », et y apporter des propositions géopolitiques et géoéconomiques. Il en est ainsi pour le littoral atlantique africain, pour le Sahel et maintenant pour l’espace méditerranéen, même si, historiquement, le Maroc n’a jamais été vraiment méditerranéen mais plutôt et résolument saharien et, dans une moindre mesure, atlantique.

Concernant l’UPM, l’ambition de Nasser Bourita est grande, et elle consiste à instaurer la confiance entre la quarantaine d’Etats membres, les amener à régler leurs différends (et quels différends !) au sein de l’UPM et à « adoucir » la forteresse Europe. L’ambition est trop grande pour être réalisable, donc crédible.

Que gagne donc le ministre des Affaires étrangères à dire cela à Stéphane Séjourné, manifestement peu informé de la problématique et alors que les enjeux de la visite de ce dernier au Maroc sont ailleurs ? Montrer que « le Maroc d’aujourd’hui n’est pas celui d’hier », un Maroc plus affermi, plus affirmé, sûr de lui et se positionnant sur l’échiquier régional.

Une forme d’affirmation d’un soft power naissant… mais une annonce qui restera au stade d’effet d’annonce.

Aziz Boucetta