(Billet 990) – Il faut sauver le soldat Istiqlal

(Billet 990) – Il faut sauver le soldat Istiqlal

Et finalement, après une longue et aussi inexplicable qu’inexpliquée attente, le parti de l’Istiqlal annonce la tenue de son congrès, s’offrant même le luxe de fixer une date précise, ou presque. Le dernier congrès remonte à octobre… 2017 ! Au rythme où vont les choses au Maroc et dans le monde, 2017, c’est très loin. Et cette hibernation institutionnelle du doyen des partis politiques marocains ne saurait se justifier par le (relativement) bon classement de l’Istiqlal aux élections de 2021 ou même par son accession/retour au gouvernement où désormais il marche sur l’eau.

La loi reste en effet la loi et si par moments elle peut être parfois transgressée, il ne faut que ce ne soit ni durablement ni d’une façon trop voyante. Au Maroc, les partis politiques dépassent souvent les durées des mandats, mais d'un an, rarement deux, sinon l’Intérieur tonne. L’Istiqlal, lui, en est déjà à deux ans et demi de rallonge ; et pourtant, les statuts du parti sont clairs, le congrès c’est une fois tous les quatre ans, nous enseigne l’article 100. Cela pose aussi un problème de conformité à la loi, et expose en outre l’Istiqlal à l’encore plus sérieux problème du financement public. On parle ainsi d’un aimable et amical rappel du ministère de l’Intérieur à l’Istiqlal, pour qu’il retrouve la voie de la légalité.

Pourquoi ce congrès ne s’est-il pas tenu ? Procrastination ? Non, les Istiqlaliens sont plus sérieux que cela. Division dans les rangs ? Non plus, les rangs de la formation politique sont soudés. Dissension alors ? Oui, le clan des Sahraouis semble poser problème, pour des raisons que seul Hamdi Ould Rachid sait… seul avec Nizar Baraka et quelques autres bien sûr. Peut-être pas le syndrome Iznogoud, mais sans doute quelques relents de volonté d’influence, aggravés de certains penchants népotistes.

Cette semaine, donc, après une absence inhabituelle, le comité exécutif du parti s’est réuni et a décidé de la tenue d’un conseil national le 2 mars (jour ô combien symbolique pour l’Istiqlal) et, dans la foulée, du congrès général, de préférence avant fin avril. L’enjeu est d’élire le secrétaire général de l’Istiqlal, et comme Nizar Baraka avait déjà signifié sa candidature, l’enjeu est de le réélire, face à des clans qui auraient peut-être rêvé d’un autre champion.

Et alors que le comité exécutif tenait sa première réunion depuis longtemps, une rumeur surgit, allez savoir pourquoi… une simple rumeur, parue dans la presse, qui n’est pourtant pas supposée publier des rumeurs. Il s’agirait, donc, d’une direction collégiale pour l’Istiqlal, avec quelques noms pour « seconder » Nizar Baraka, et que tout cela resterait ainsi le temps d’organiser un congrès ou d’attendre un lointain consensus entre les personnes concernées. Un peu comme le PAM, quoi !

Et c’était cela, l’objectif de cette rumeur, en fait un objectif multiple ; amalgamer l’Istiqlal avec le PAM dans cette peu sérieuse question de collégialité de la direction, banaliser cette même question que le PAM


peine visiblement (et logiquement) à vendre, même en la survendant… ou alors suggérer cette idée avec le lointain espoir de la voir prendre, se renforcer, faire son chemin et finalement s’imposer. Des noms ont même été suggérés pour se joindre à Nizar Baraka dans ce « X-iumvirat » rêvé.

« Il n’en est rien ! », s’indignent des membres du parti au fait des secrets et autres non-dits du parti ; « calomnie ! », s’étranglent d’autres. Mais alors d’où vient cette rumeur ? Peut-il y avoir de la fumée sans feu ? Et dans ce cas, qui serait le pyromane ? Le PAM soutient-il cette hypothèse, pour se donner une légitimité, en proclamant le cas échéant que la collégialité de la direction est la panacée de tous les maux dont souffrent les partis marocains ? Les chefs des clans istiqlaliens portent-ils cette proposition, rêvant à défaut d’être califes à la place du calife, d’en devenir au moins co-califes ?

Mais telle n’est pas la nature de ce parti qui a toujours su renaître de ses décombres, depuis ce jour de 1943 où il a vu le jour. Mhamed Boucetta, alors secrétaire général un quart de siècle, avait toujours su manœuvrer pour se maintenir, et quand la pression de son éternel rival Mhamed Douiri était devenu trop forte, il en avait fait son secrétaire général-adjoint, officiellement et explicitement. Lorsqu’Abbas el Fassi avait connu des malheurs au sein de son parti, il s'en était tiré avec des larmes, l’hymne du parti avait été entonné, les cœurs s’étaient serrés, puis les rangs du parti aussi, dans la foulée. En 2012, au terme d’une lutte homérique, Hamid Chabat avait pris le meilleur sur Abdelouahed (fils d’Allal) el Fassi, à la régulière, et en 2017, à l’issue d’un congrès tumultueux où les noms d’oiseaux et quelques assiettes avaient volé, le même Hamid Chabat s’était incliné devant Nizar Baraka.

Aujourd’hui, ce dernier est en bonne position pour rempiler. Il a conduit le parti plutôt de bonne manière jusqu’aux élections de 2021, et sans sonner ni trébucher, il s’était classé juste derrière le RNI et le PAM. Connaissant le Maroc, ses partis, leurs notables et les inévitables muses, la position conquise par l’Istiqlal est plutôt un succès.

Et donc, si en avril prochain, Dame Providence souhaite que la direction devienne quand même collégiale en attendant Godot, le candidat sortant Baraka sortirait grandi en sortant tout court. Il aura fait un bon parcours au gouvernement et il aura su tenir les rangs et les rênes du parti jusqu’au congrès, même très tardif. Mais si l’argent, l’entregent et quelques agents s’invitent, alors une autre période similaire à « l’ère Chabat » s’ouvrirait et il faudra attendre que le parti renaisse, encore une fois, de ses décombres.

Mais l’idéal serait que ce parti, l’un des derniers, peut-être le dernier qui reste en qualité et quantité dans le pays, soit prémuni de ces graves dérives auxquelles nous assistons aujourd’hui sur la scène politique.

Aziz Boucetta