(Billet 984) – Le voyage mystérieux de De Mistura en Afrique du Sud
Le Sahara est marocain, nous le savons, et à ce titre il appartient aux Marocains, nous le savons aussi. Mais ce que nous ne voyons pas, est que le cheminement et le processus de règlement international de cette question, les Marocains en sont privés. On ne peut pas aller proclamer au monde entier que l’affaire n’est pas celle du seul palais royal mais de l’ensemble de la population – ce qui est vrai – et dans le même temps taire les informations, dont certaines peuvent être capitales.
Dans le dernier quart de l’année 2023, le sous-secrétaire d'Etat américain Joshua Harris a effectué deux visites dans la région maghrébine, tour à tour à Alger et à Rabat. Pourquoi est-il venu ? Qu’a-t-il dit, et entendu, dans les deux capitales ? Nous n’en saurons rien, sauf peut-être à travers cette étrange interview publiée sur le site de l’ambassade américaine à Alger dans laquelle M. Harris évoque l’avancée et la progression d’un dialogue militaire entre Washington et Alger. Cela laisse entrevoir un début d’élargissement d’alliance pour l’Algérie qui, en plus de son allié traditionnel russe et aussi de sa relation historique mais cabossée avec la France, ajoute aujourd’hui les Etats-Unis.
Mais les choses sont plus complexes car elles doivent êtres mises en perspective du contexte international où les Américains sont confrontés à un conflit majeur au Moyen-Orient qui connaît une extension et une escalade préoccupantes, mais aussi à une instabilité croissante dans la zone Sahel où le vide créé par le départ précipité de la France crée une opportunité pour les Russes. Washington doit donc se rapprocher d’Alger, mais à quel prix, et dans quels objectifs ? Nous n’en saurons rien, là aussi.
On notera cependant que depuis quelques années, depuis les difficultés de Paris dans son ancien pré-carré africain, les Américains ont repris en zone maghrébine le double jeu de l’ancienne puissance coloniale. Un pied à Alger, un autre à Rabat, une forte complicité affichée avec le Maroc, une nouvelle connivence avec l’Algérie, le tout sur fond d’une accumulation de guérillas et de luttes communautaires au Sahel et de conflit latent et militaire de « basse intensité » au Sahara.
Concernant ce dernier cas, celui du Sahara, des évolutions sont enregistrées, mais dans un sens encore opaque, obscur. Suite au vote de la résolution 2703, le 27 octobre 2023, le représentant permanent français à l’ONU avait dit qu’ « il est temps désormais d’avancer ». Dans son entretien algérois, le sous-secrétaire US a affirmé que les Etats-Unis « (envisagent) sérieusement d’utiliser (leur) influence pour permettre le succès du processus politique de l’ONU ». On ne sait pas encore comment, mais on sait que le dossier va avancer…
… Et c’est sur ces entrefaites qu’intervient cette curieuse et préoccupante visite de Staffan de Mistura, l’Envoyé personnel du secrétaire général de l’ONU à… Prétoria, où il a rencontré la cheffe de la diplomatie sud-africaine, encore auréolée de l’action de son pays contre Israël à la Cour internationale de justice (photo).
Auparavant, la dame n’avait d’ailleurs pas hésité à dresser un très audacieux et encore plus hasardeux parallèle entre Israël et le Maroc, tous deux à ses yeux « puissances occupantes ». Que peut attendre le Maroc de cette rencontre entre l’émissaire onusien et l’un des plus farouches adversaires du Maroc dans l’affaire du Sahara ? Selon le porte-parole du SG de l’ONU, commentant cette visite, « certaines choses doivent être engagées dans une diplomatie discrète ». L’Afrique du Sud serait-elle en train de monnayer son action auprès de la CIJ avec l’affaire du Sahara, en reculant sur le front moyen-oriental pour avancer ses pions sur celui de l’Afrique ?
Connaissant l’Afrique du Sud et son activisme diplomatique, on pourrait être pessimiste, et de fait l’intervention d’Omar Hilale, le représentant permanent du Maroc à l’ONU, dénote d’une certaine inquiétude de Rabat face à ce voyage de M. De Mistura. Interrogé sur cette visite, M. Hilale a exprimé « l’opposition catégorique du Maroc à un tel déplacement, ainsi que (son) rejet de toute interaction avec Pretoria au sujet de la question du Sahara », ajoutant que « le Maroc ne permettra jamais à l’Afrique du Sud d’avoir un quelconque rôle dans le dossier du Sahara marocain ». Cela questionne…
Un début de réponse est apporté par le diplomate et ancien ambassadeur marocain Ali Achour, auteur de plusieurs ouvrages sur la diplomatie marocaine et sur le Sahara marocain. Selon M. Achour, l’ « intrigante » (le mot est de lui) visite de l’Envoyé du SG de l’ONU peut déboucher sur trois options : Prétoria médiateur, Prétoria facilitateur auprès du Polisario, et Prétoria neutre. Eu égard à la farouche inimitié que voue l’Afrique du Sud au Maroc et son obsessionnelle partialité dans le dossier du Sahara, Ali Achour exclut les deux premières hypothèses et retient possiblement la dernière, celle de la neutralité. Cette approche du diplomate rejoint celle d’Omar Hilale, qui dénie à Prétoria toute implication dans l’affaire du Sahara, sauf peut-être la neutralité, sachant que pour le Sahara, rien ne saurait être discuté ou négocié en dehors du cadre onusien, et avec les paramètres définis par Rabat.
Dans l’attente que les choses se clarifient, il reste deux points à évoquer. En premier, le rôle que s’assignent désormais les Etats-Unis dans cette région du monde, porteuse de bien des enjeux (migration, terrorisme, géopolitique et géoéconomie africaines, façade atlantique sud…), et la fonction qui sera dévolue à une France amoindrie, affaiblie, mais toujours présente par la langue et les entreprises. En second, la posture officielle marocaine en direction de sa propre population ; le Maroc n’est fort dans son Sahara qu’avec le soutien de la totalité de sa population, qui doit donc être informée de ce qui se trame autour de l’intégrité territoriale du royaume.
La diplomatie « discrète » évoquée par le porte-parole de l’ONU est une chose, certes nécessaire, mais l’information et la mobilisation générales autour d’une affaire arrivée à un tournant géopolitique majeur en est une autre.
Aziz Boucetta