(Billet 962) – Le ‘’gâteau’’ diplomatique marocain
Et ainsi donc, on apprend sur les colonnes de notre confrère Assabah que la diplomatie marocaine s’apprêterait (le conditionnel reste de mise, bien heureusement) à recevoir ou aurait déjà reçu des CV de personnalités partisanes pour occuper des postes d’ambassadeurs. Certains appellent cela un ‘’gâteau’’, au risque de gâter un appareil diplomatique qu’il aura fallu des années à mettre en place.
Ce que nous dit l’article du journal susmentionné est que le ministère des Affaires étrangères aurait demandé aux états-majors de partis politiques de lui adresser des noms de personnalités qui seraient éventuellement appelées à occuper les éminentes fonctions d’ambassadeurs dans des capitales étrangères. Ce n’est pas un mal en soi, pour peu que la qualité soit là. Et c’est le problème.
Il semblerait que les partis politiques concernés aient opté pour des profils aussi divers que d’anciens caciques aujourd’hui un peu marginalisés ou démonétisés, l’ambassade deviendrait alors un pantouflage ; ou encore des personnalités qui pourraient s’avérer dérangeantes lors des prochaines échéances électorales internes et qui pourraient même ambitionner d’être « patron du parti à la place du patron », et l’ambassade devient ici un dérivatif ; ou enfin, plus prosaïquement, ce sont des « fils de » ou « filles de » qui sont choisis et alors l‘ambassade devient une niche de rente familiale… On peut oser penser que notre diplomatie mérite mieux, et que le pays aussi.
Aujourd’hui, la diplomatie doit être un métier, et elle est devenue un métier. Cela suppose une longue formation, une encore plus longue préparation à travers des fonctions diplomatiques diverses dans les capitales étrangères, puis retour à la maison centrale, et ensuite départ vers des affectations diplomatiques. Le monde se complique singulièrement, les enjeux changent, comme les alliances et autres partenariats, et les défis pullulent, de même que les périls. On ne peut envoyer n’importe qui en ambassades, et s’il faut absolument passer par la case partis, alors les choix devront se fonder sur d’autres critères que ceux susmentionnés ; cela éviterait des déconvenues comme en Europe du nord-ouest ou, plus anciennement, en Asie du sud-est.
Dans les années 60 et même 70, bien des ambassadeurs étaient choisis en externe à l’appareil diplomatique naissant, quand les choses étaient alors plus faciles, que les gens étaient mieux formés, que la plupart étaient aguerris. Dans les années 60, la diplomatie marocaine avait connu des médecins, des financiers, des dirigeants du mouvement national… les profils différaient mais l’envergure des personnages s’imposait. En ces temps-là, les partis étaient encore respectés, et ils l’étaient d’autant plus que leurs champions pour les missions diplomatiques étaient des personnages aux passés riches, voire impressionnants.
Tel n’est plus le cas.
En effet, à l’inverse des années post-indépendance, quand les programmes et discours des partis politiques réservaient une part importante aux relations internationales du Maroc, aujourd’hui, leur contribution à l’élaboration de la politique étrangère est singulièrement faible, en dehors de phrases convenues sur la question du Sahara. Comment ces partis peuvent-ils donc aspirer à candidater pour des fonctions d’ambassadeurs, voire même à exiger une sorte de quota ?
Par ailleurs, la complexité croissante des enjeux internationaux et l’émergence des nouvelles technologies et de nouveaux espaces de confrontation géopolitique ont conduit à une plus grande technicité des relations internationales, et par conséquent des diplomaties nationales, dont bien évidemment celle du Maroc, de plus en plus décomplexé quant à ses ambitions continentales et régionales. Il ne s’agit dès lors plus de désigner un ambassadeur pour combler un vide diplomatique, ou faire le vide au sein des partis, ou récompenser, mais pour porter à l’étranger et prolonger la doctrine diplomatique du pays. Les partis ont-ils réellement ce type de profils ? Sans doute oui, mais pas en effectifs suffisants pour vouloir s’arroger une part des fonctions diplomatiques.
En accordant ces fonctions à ces partis, au nombre qui semble aujourd’hui envisagé, la diplomatie marocaine commettrait la double erreur de laisser en jachère les grands diplomates atteints par l’âge de la retraite mais juste « au point » pour servir idéalement, et aussi d’accepter dans ses rangs des personnes dont la diplomatie est une opportunité de carrière, comme une autre. Et dans ce cas, comme le fait remarquer un ancien de la maison, pourquoi ne pas nommer un juge à Agadir parmi les membres de partis ? Un directeur des impôts ? Un gouverneur ou wali, même si cela a déjà été fait ?...
On peut donc nommer des personnalités extérieures au corps diplomatique, comme cela s’est encore fait récemment et aussi régulièrement depuis toujours, mais cela doit, avant de répondre aux exigences des partis, doit entrer dans le cadre de compétences et demeurer à un niveau acceptable. Dans le cas contraire, cette pratique affaiblirait singulièrement notre diplomatie et mettrait en cause son efficacité.
Aziz Boucetta