(Billet 960) – La constitution inaboutie
Douze années et demi. Cela fait 12 ans et demi que la constitution du royaume a été adoptée, avec une large participation et une majorité encore plus large. Il y avait eu le Mouvement du 20 février, puis le discours du 9 mars, et ensuite les concertations et tractations de mars à juin 2011, et enfin le vote référendaire du 1er juillet. Le texte est beau, son préambule somptueux, ses dispositions générales avant-gardistes. Sauf que bien des dispositions tardent à être mises en œuvre, faisant de notre constitution un texte inabouti. Douze années et demi et trois chefs de gouvernement après.
1/ Le droit à la vie. A tout seigneur, tout honneur, et la vie est la première des choses à garantir avant de passer et penser à autre chose. L’article 20 dispose que « le droit à la vie est le droit premier de tout être humain. La loi protège ce droit ». Fort bien... sauf que le terme « mort » revient plus de 70 fois dans le code pénal et 83 condamnés le sont à la peine capitale. Celle-ci n’est plus exécutée depuis 30 ans, et le Maroc a accepté un moratoire sur les exécutions, mais la constitution n’est pas pour autant respectée.
2/ La parité. « L'Etat marocain œuvre à la réalisation de la parité entre les hommes et les femmes », nous dit l’article 19, qui ajoute qu’ « il est créé (…) une Autorité pour la parité et la lutte contre toutes formes de discrimination » ; elle a en effet été créée par la loi 79-14, laquelle a même été publiée au Bulletin Officiel en 2018. On attend toujours sa mise en place effective, surtout en ces temps de rudes négociations autour de la réforme du Code de la famille. Et dans un pays où une femme sur cinq est « inactive », il y a urgence.
3/ L’égal accès aux services sociaux permettant ce qu’on appelle communément une vie digne. Ici, c’est l’article 31 qui s’y met… Dans le désordre, l’article précise les champs qui doivent faire l’objet de l’Etat, soins de santé (on attend toujours), éducation moderne, accessible et de qualité (gouvernement, syndicats et coordinations poursuivent leur bras de fer), logement décent (on s’y achemine, mais lentement)… Douze après l’adoption de la constitution, les Marocains sont certes dignes, mais leurs existences ne le sont pas encore vraiment.
4/ Le droit de grève. Des grèves, le Maroc en connaît presque toutes les semaines, mais il n’y a toujours pas de texte réglementant ce droit de grève. Article 29 : « Le droit de grève est garanti. Une loi organique
fixe les conditions et les modalités de son exercice »… il faut juste être patient. En 2016, une initiative est venue de … la CGEM ! Puis, plus rien. On dit que c’est pour 2024, comme on a dit chaque année la même chose sur l’année suivante, depuis 12 ans. Entretemps, les grèves battent leur plein dans le secteur de l’enseignement.
5/ L’équité fiscale. « Tous supportent, en proportion de leurs facultés contributives, les charges publiques … » article 39 et, article 40, « tous supportent solidairement et proportionnellement à leurs moyens, les charges que requiert le développement du pays… ». L’équité fiscale, puisque c’est de cela qu’il s’agit, c’est comme tant de choses, on en parle beaucoup, on l’agite incessamment, mais on ne change pas grand-chose. Impôt sur le revenu, TVA, niches fiscales… bien des choses sont à revoir, mais comme l’Etat a de grands besoins et de petits moyens, on remet toujours à plus tard.
6/ Les Marocains du monde. « Les Marocains résidant à l'étranger jouissent des droits de pleine citoyenneté, y compris le droit d'être électeurs et éligibles » nous enseigne l’article 17, et en respect à ce principe d’intégration des Marocains résidant à l’étranger, les partis politiques les plus nantis ont tous mené campagne en 2020 et 2021 dans les pays où résident les plus importantes communautés de Marocains. Mais, le jour du vote, ces compatriotes expatriés ne votent ni ne se portent candidats. Ils sont pourtant plus de 5 millions, soit 15% de la population totale.
Liste non exhaustive de prescriptions constitutionnelles ignorées et/ou oubliées… Et donc, pour faire simple, droit à la vie et peines de mort, parité hachurée, équité fiscale fuyante, droit de grève victime de procrastination législative, Marocains du Maroc ignorant les Marocains du monde et se contentant de compter leurs transferts, droit de grève en mode mute… Tout cela n’est pas bien sérieux, un mot qui revient pourtant pas moins d’une quinzaine de fois dans le discours du Trône 2023 !
Ni Abdelilah Benkirane ni Saâdeddine Elotmani et encore moins Aziz Akhannouch n’ont été à la hauteur de l’avant-gardisme de la constitution de 2011, pas plus qu’ils ne l’ont prise au… sérieux. Quant aux centaines de députés et conseillers sévissant avenue Mohammed V à Rabat, on ne peut en attendre grand-chose, ce qui est regrettable pour la bonne marche de ce pays.
La classe politique pourra parler de démocratie, représentativité et autres grands principes du genre lorsqu’elle aura œuvré à mettre en place les dispositions de la constitution. Toutes. Entretemps, on continuera de nous gargariser de mots et d’avancer à vue.
Aziz Boucetta