(Billet 952) – Un remaniement… pour quoi faire ?
Ce n’est pas parce qu’un gouvernement est généralement remanié à mi-mandat qu’il est absolument nécessaire de le faire… On remanie pour plusieurs raisons, mais essentiellement politiques et/ou techniques. Dans les deux cas, le chef du gouvernement devra expliquer en quoi et pourquoi ce remaniement devra-t-il être opéré. Tâche ardue car les difficultés ou manquements de ce gouvernement n’ont pas trait aux seuls ministres.
Oublions l’ère pré-constitution de 2011, c’était compliqué sans être complexe, mais c’était une autre époque. Depuis l’adoption de la nouvelle Loi fondamentale, les choses sont plus claires, le chef du gouvernement est d’abord un chef politique, aux pouvoirs accrus et plus exposé ; il doit rendre des comptes régulièrement au parlement et il ne peut quitter ses fonctions que par la dissolution de la Chambre des représentants, ou par sa propre volonté… Il est le « collaborateur » du chef de l’Etat, mais non plus un collaborateur exécutant comme jadis, avant 2011, mais un collaborateur politique, agissant, développant une politique supposée être la sienne, issue de ses promesses électorales et de son engagement en politique générale.
Ainsi, en 2013, un an et demi après sa prise de fonction, Abdelilah Benkirane avait procédé à un remaniement politique, avec le départ de l’Istiqlal et son remplacement par le RNI, lequel remplacement avait nécessité de rudes négociations et d’âpres tractations. Et de remaniement politique, on était passé à une refonte technique, avec le RNI en charge des grands ministères économiques et de la diplomatie. Le chef du gouvernement avait par la suite endossé, assumé et même défendu les grandes orientations économiques prises par les ministres RNI.
En 2019, le gouvernement Elotmani avait deux ans et demi et avait aussi besoin d’un grand souffle. Il fallait une task force, disait-on… Fort bien, le PPS partit et les autres partis de la coalition restèrent, mais le chef du gouvernement avait accepté une sorte de containment de son propre parti, usé par huit années aux affaires, à défaut de dire au pouvoir. C’est cette équipe qui géra la crise Covid, et Saâdeddine Elotmani avait accepté de jouer le jeu, endossant, assumant et défendant là aussi la nouvelle structure.
Dans les deux cas, la politique était là, la concertation permanente, les joutes politiques épiques ; le chef de l’Etat tenait son rôle de représentant suprême de la nation et de décideur de ses grandes orientations, et le chef du gouvernement le sien, de patron de la majorité parlementaire. Il y avait une opposition visible et audible, et la majorité était bicéphale, représentée par un PJD très politique et un RNI qui l’était encore, avec Salaheddine Mezouar. On peut critiquer les personnages qui animaient cette scène politique, mais la politique était là.
Ce n’est plus le cas, aujourd’hui.
Depuis octobre 2021, le Maroc vit sous une étrange configuration politique. Le gouvernement est officiellement composé de trois partis, dispose d’une large majorité et repose sur des fondements solides. Dans la réalité, nous avons un gouvernement de technocrates, exécutants jusqu’au bout des ongles, et divisés en trois groupes : les ministres de souveraineté, apolitiques, pour les postes régaliens, les ministres dits politiques, récemment peints aux couleurs de leurs partis actuels (qui peuvent changer, à la demande), et une poignée de ministres véritablement politiques. On peut ajouter à cette équipe une quatrième catégorie, celle de ministres appartenant à la garde rapprochée du chef du
gouvernement, d’anciens collaborateurs dans le privé ou au ministère de l’Agriculture, en plus du joker Sekkouri et de l’incontournable « caissier » Lekjaâ.
Et, hors de la première catégorie, tous sont sévèrement et de plus en plus étroitement encadrés, souvent recadrés, par leur chef Aziz Akhannouch qui, lui, agit plus en capitaine d’industrie habitué à commander et peu ouvert à la critique et très peu enclin à l’autocritique. Cet attelage travaille sur les grands chantiers royaux, de réforme de ce qui doit l’être et de restructuration du reste. Un gouvernement qui « délivre », comme on dit depuis deux ans.
Alors pourquoi remanier une équipe qui « délivre », à défaut de gagner, et dans le cas où on insiste pour le faire, quoi et qui changer ? Il est difficile de changer l’ossature RNI/PAM/Istiqlal, sans laquelle le RNI, bien qu’électoralement fort, ne peut rien, et même en se souvenant qu’un an avec les élections, PAM et Istiqlal étaient de féroces pourfendeurs du RNI, avec le PPS. Il est tellement difficile de le faire que M. Akhannouch, au contraire des autres ministres, ménage les deux secrétaires généraux Abdellatif Ouahbi et Nizar Baraka qui, par temps d’orage sur le gouvernement et son chef, ne remuent pas un cil, ou alors frémissent d’un contentement silencieux.
Selon des rumeurs et/ou fuites, toujours savamment distillées, il serait question de changer pour changer… mais en maintenant, voire en renforçant, les membres du « clan » du chef du gouvernement. Or, que reproche-t-on à cette équipe et surtout à son chef ? La voracité institutionnelle de M. Akhannouch, à travers sa propension à accaparer et même s’emparer des réalisations des ministres, à désavouer certains, à compliquer la tâche à d’autres ; on lui reproche également son épouvantable manque de communication, alors même qu’un chef de gouvernement, sous la nouvelle constitution, est d’abord un chef politique qui doit parler, expliquer son action, décortiquer ses actes, et pas seulement soliloquer sur les chiffres et les milliards.
On peut aussi quereller M. Akhannouch sur une certaine lenteur à mettre en musique les partitions royales, comme sur la réforme de la Moudawana, qui lui a valu une lettre de rappel du souverain, ou encore sur la situation des Marocains du monde, et enfin sur les nécessaires et primordiales politiques de souverainetés énergétique, sanitaire et alimentaire réclamées par le chef de l’Etat… sans compter son silence sur la réflexion pour la mise en place des grandes orientations géopolitiques et géostratégiques dessinées par le roi, essentiellement en Afrique et où si peu de ministres se rendent.
Enfin, le chef du gouvernement prête le flanc à des soupçons de conflits d’intérêt et de défense d’intérêts claniques et sectoriels. Il a certes démissionné de tous ses mandats entrepreneuriaux mais que voulez-vous, chassez le matériel, il en restera toujours quelque chose…
En un mot, le Maroc dispose d’un chef de gouvernement omniscient, omnipotent et omniprésent, comme tous les autres grands milliardaires ayant (ou ayant eu) des responsabilités politiques dans le monde (MM. Trump, Berlusconi, Pinera, Hariri…), un chef qui communique très peu, au contraire de ces dirigeants nantis, et qui ne dispose pas d’une véritable vision politique ou géopolitique, si nécessaire à sa fonction. Il fait tout, mais au détriment de la si nécessaire politique, voulue par et dans la constitution.
Alors, puisqu’il est impossible de procéder à un changement à la tête du gouvernement, pourquoi remanier ?
Aziz Boucetta