(Billet 946) – Le danger Akhannouch

(Billet 946) – Le danger Akhannouch

Rarement le Maroc aura connu telle rupture entre sa classe dirigeante élue et sa population, et le gouvernement en est la cause. Et dans le cas présent, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch porte une immense responsabilité, tant dans sa manière de diriger son équipe que dans celle de considérer la population. Plusieurs facteurs vont dans ce sens, mais le chef du gouvernement n’en a cure, adoptant une posture qui ne sied pas à ce Maroc que nous voyons émerger.

1/ La crise des enseignants. Chakib Benmoussa est ministre de l’Education nationale, du Préscolaire et du Sport (et non de « taâlim », comme le dit M. Akhannouch), après avoir été président de la Commission sur le Modèle de développement. A ces deux fonctions, il a été nommé par le roi et dans ces deux responsabilités, l’homme a agi comme à son habitude, avec ordre et méthode. Il a néanmoins péché par excès de technocratie, mécontentant les syndicats, jetant des dizaines de milliers d’enseignants dans les rues de la capitale, aggravant le mouvement de grève et menaçant l’année scolaire de millions d’apprenants. Il aurait fallu de la politique, un soutien du chef du gouvernement. Au lieu de cela, ce dernier a « lâché » son ministre, le désavouant en le « dissolvant » dans une commission ministérielle qui compliquera les choses encore plus qu’elles ne le sont déjà, qui rendra la situation plus inflammable qu’on peut le craindre.

2/ Le PLF 2024. Il semble être à l’exact opposé des promesses de campagne, du programme gouvernemental, et même du bon sens. L’objectif premier et déclaré de ce projet est de renforcer la soutenabilité des finances publiques, histoire de gérer le pays en « bon père de famille » ; c’est louable, mais cela ne doit pas se faire au détriment de ceux qui travaillent, qui créent de la richesse, qui consomment, qui dopent la croissance. On a voulu, avant de reculer, surtaxer des produits de consommation de masse, eau et électricité… On a appliqué la retenue à la source, considérant les auto-entrepreneurs comme autant de délinquants fiscaux potentiels. Tous. On veut toujours ériger l’entreprise en supplétif de l’Etat pour le recouvrement de la TVA, comme le veut cette étrange attestation de régularité fiscale, et ce faisant, on détériorera les relations entre partenaires économiques et on accélérera en conséquence le nombre de faillites, déjà alarmant, avec 10.500 dépôts de bilan en 2021, 12.000 en 2022 et une prévision de 15.000 cette année. On bouscule sévèrement l’industrie pharmaceutique avec cette illusion sur l’exonération de la TVA sur les médicaments, qui conduira nos entreprises soit à privilégier l’import soit à se délocaliser dans des pays plus accueillants, ou aux gouvernements plus intelligents. 

L'Etat a besoin d'argent, c'est évident, normal et habituel, surtout avec les immenses chantiers en cours. Mais appauvrir les personnes, physiques et morales, pour renflouer les caisse publiques n'est certainement pas la meilleure idée du monde.

3/ Le non-respect des recommandations royales. Le roi, selon la constitution et la tradition, donne l’orientation, expose sa vision, recommande les actions. L’an passé, en 2022, le chef de l’Etat, dans des adresses à la nation, avait instruit le gouvernement de réfléchir aux deux sujets fondamentaux de la famille et des Marocains du monde. Rien ne se passa. Un an plus tard, le roi a adressé une lettre au chef du gouvernement pour le rappeler à ses devoirs sur le premier thème, et les choses ont bougé. Mais toujours rien, hormis deux ou trois réunions et de vagues déclarations d’intention, sur les Marocains du monde. Après avoir « oublié » les recommandations du Modèle de développement, désavoué son président actuellement ministre, voilà Aziz Akhannouch qui manque à ses devoirs de répondre prestement et d’agir utilement aux indications royales.

4/ Le clanisme gouvernemental. En off, bien évidemment, plusieurs responsables gouvernementaux se plaignent de l’ambiance clanique qui règne au sein de la majorité et du gouvernement. Le RNI, parti créé de toutes pièces par le palais royal en 1978 en fonction des considérations contextuelles de cette époque, est toujours un mouvement d’amis et une pelote d’intérêts.


Pas d’idéologie, pas d’ancrage populaire, de l’argent, de l’argent et encore de l’argent. Aujourd’hui chef de la majorité, il laisse une petite place au PAM qui essaie d’exister et lutte férocement, en coulisses, contre l’Istiqlal qui pourrait représenter une menace pour le leadership que le chef du gouvernement veut conserver, à tout prix, et même au-delà de 2026. Au sein du gouvernement, l’ambiance est délétère et l’unité affichée n’est que de façade, une garde de snipers reste en veille et œuvre à couper toute tête qui dépasserait ou même pourrait dépasser celle du chef du gouvernement.

5/ Les soupçons de conflits d’intérêt se renforcent. En cause, bien évidemment, les fonctions entrepreneuriales passées d’Aziz Akhannouch. La grande entreprise est choyée, la PME délaissée. La non-réaction du gouvernement face aux cinq augmentations des prix des carburants en un mois laisse pantois, voire pensif, et peut-être même soupçonneux face à de plus en plus probables ententes entre compagnies (comme le suggère à peu près tout le monde, parlement, conseil de la concurrence, économistes et opinion publique, sans aucun démenti argumenté des concernés). Au niveau de la CGEM, la composition du conseil d’administration montre aussi la mainmise d’un clan sur la confédération. Les connaisseurs savent et s’affligent, les entrepreneurs dénoncent à huis clos, quelques médias s’étonnent, mais personne n’en a cure, la maison CGEM est désormais bien tenue.

6/ Un silence oppressant. Dans son esprit, la constitution consacre le chef du gouvernement comme chef effectif d’une majorité politique, avec des pouvoirs accrus. La personne qui occupe la fonction doit agir comme un leader politique qui décide, explique, s’explique et assume. Il doit communiquer avec la population, répondre à la société, monter au front, prendre des risques. Et non se calfeutrer et se cacher aux yeux de l’opinion publique avec une certaine condescendance, comme le fait depuis deux ans le chef du gouvernement Aziz Akhannouch. En agissant ainsi, ce dernier « tue » la politique, et de politique, en 2026, on aura besoin. Las…

7/ Une représentativité extérieure indigente. Sur le plan extérieur, et même si cela ne relève pas de son champ de compétences, Aziz Akhannouch représente le Maroc à bien des aréopages internationaux. Selon plusieurs diplomates marocains et étrangers – s’exprimant anonymement –, cette représentation n’est pas au niveau de la place aujourd’hui conquise par le Maroc dans le monde. La vision géopolitique du roi est claire, clairement exposée et résolument menée, fidèlement relayée par un ministre des Affaires étrangères qui maîtrise ses dossiers. Mais quand le chef du gouvernement est en mission à l’étranger, un malaise s’installe. C’est sans doute pour cela que ses sorties se résument le plus souvent à la seule lecture de messages ou discours royaux. Et le rachat du Forum Medays voici quelques années par le chef du gouvernement indique sa singulière indigence géopolitique, Medays n'étant pas spécialement le think tank le plus prolifique, et encore moins le plus crédible, de la région...

 

Le Maroc est une démocratie représentative, on le sait. A sa manière, selon sa culture et ses traditions. Dans la constitution, les pouvoirs du roi sont clairement définis, et encadrés, et les attributions du chef du gouvernement sont également précisément délimitées. Depuis son arrivée sur le trône, en 1999, le roi Mohammed VI a œuvré à respecter les échéances électorales et les espaces de chacun. A l’exception d’Abbas el Fassi qui n’avait pas achevé son mandat pour cause de mouvement social et de changement de constitution, les autres ont tous bouclé leurs cinq ans aux affaires.

L’idée est donc de laisser chacun finir son mandat, lui laissant le temps de réussir sa mission ou de la rater. Il faudra donc attendre trois ans encore, espérant que ce Maroc si ambitieux, de plus en plus visible et de plus en plus décomplexé, ne subisse pas les affres d’un ratage de l’équipe actuelle, malgré ses bons profils et ses très hautes compétences, malheureusement masqués par un chef de gouvernement de plus en plus dépassé, qui se cramponne et dont les fidèles plastronnent. Une énigme…

Aziz Boucetta