(Billet 933) – En diplomatie, le Maroc renforce l’attaque
Rien de mieux que la métaphore footballistique pour commenter les récentes nominations de personnalités à la tête des deux très importantes ambassades que sont celles de Paris et de Washington. Le monde change, chauffe, brûle, explose, et le Maroc est concerné, guette. Il était temps de faire preuve d’imagination et de nommer les gens qu’il faut où il faut, Samira Sitaïl à Paris et Youssef Amrani à Washington.
A Paris, l’ambassade du Maroc était sans ambassadeur ; très exactement, bruyamment et officiellement depuis le 19 janvier dernier, techniquement depuis environ un an, quand Mohamed Benchaâboun était entré pour s’occuper d’investissement, mais il n’avait jamais vraiment été à sa place à Paris, il faut bien le reconnaître. Avant lui, c’était Chakib Benmoussa, autrement plus aguerri et bien plus madré que son successeur, mais depuis fin 2019, il était plutôt occupé par ce qui allait devenir le Nouveau modèle de développement. L’ambassade à Paris était donc dégarnie depuis près de 4 ans. En plein froid glacial avec la France, non avec le pays, mais avec une Macronie en roue libre.
Samira Sitaïl, pour les très nombreuses personnes qui la connaissent, est une dame au caractère bien trempé, déjà résidente à… Paris, où son époux officie avec talent comme Représentant permanent du Maroc à l’Unesco, n’hésitant pas à l’occasion à jouter contre des Algériens irascibles. Cela fait deux ambassadeurs marocains à Paris pour le prix d’un, si on ose dire… Journaliste de profession, elle a dirigé la chaîne nationale 2M indirectement, puis directement, durant de très longues années, prenant position quand il le fallait, n’hésitant pas à croiser le fer au besoin, le temps nécessaire, bousculant tout sur son passage et défendant avec hargne et talent ses convictions progressistes et patriotes ; on l’a tout récemment encore vue dans ses œuvres lors d’un échange mémorable à la télé française avec des journalistes déchaînés contre ce petit-Maroc-qui-refuse-l’aide-française suite au séisme d’al Haouz.
Nommer une dame, de son calibre, de son expérience, de son âge, pour traiter avec une Macronie arrogante et suffisante est une somptueuse idée, alors que des discussions ont commencé dans la discrétion avec la France, pour qu’elle clarifie enfin sa position sur le Sahara (« le Sahara ma-ro-cain ! », martèle et assène Mme Sitaïl à la télé lors de cette fameuse émission). Samira Sitaïl est donc journaliste, connaissant les arcanes et les coulisses de la profession, et elle est également de nationalité française ; nommer un ambassadeur dans un pays dont il détient la nationalité reste inédit, ou au moins rarissime, dans la haute fonction diplomatique ; pour la nouvelle diplomate, c'est un atout. Mme Sitaïl aura donc face à elle la très taciturne Catherine Colonna, dans un Paris qu’elle connaît aussi bien qu’elle, sinon mieux.
A Washington, on envoie un poids lourd de la diplomatie marocaine. Formé à l’école de Mhamed Boucetta et d’Abdellatif Laraki, l’homme est polyglotte et résolument offensif, avec une très riche carrière diplomatique. Ambassadeur dans plusieurs pays d’Amérique latine,
il fut aussi SG de l’Union pour la Méditerranée, ministre délégué aux Affaires étrangères et chargé de mission au cabinet royal. Il passera directement de Prétoria à Washington, avec une impasse sur Bruxelles (UE) où il avait été nommé sans jamais y aller.
L’homme est un communiquant, qui n’a pas la langue dans sa poche, mais qui sait la tourner autant de fois qu’il le faut avant d’asséner sa vérité. Il est l’époux d’Asma Lamrabet, auteure prolifique sur les questions religieuses et les problématiques de la place de la femme dans l’islam, une dame que les islamistes connaissent bien et apprécient peu, contrairement à toutes les personnes dotées de sens… A Washington, elle « secondera » efficacement son mari auprès des milieux intellectuels et culturels.
Aux Etats-Unis, Youssef Amrani s’additionnera à un autre diplomate de choc, en l’occurrence le Représentant permanent du Maroc à l’ONU Omar Hilale. Et comme à l’ONU, ce sont d’abord et essentiellement les Américains qui dirigent, ils ne seront pas trop à deux, MM. Amrani et Hilale, pour défendre une affaire nationale qui en a plus que jamais besoin dans ce monde changeant où les alliances se font et se défont et où le discours viril et musclé prime.
Dans l’affaire du Sahara, la France et les Etats-Unis ont une importance capitale, voire cardinale, la première pour l’Histoire, les archives et « la chasse gardée », les seconds parce que rien d’important ne se fait sur la planète bleue sans leur accord. Or, à Paris, le Sahara a aussi peu d’importance que les responsables n’ont de consistance et Mme Sitaïl aura pour mission de les réveiller à cette question puis de les sensibiliser à l’importance qu’a le Maroc pour la France, sans que celle-ci n’en soit consciente ; quant à Washington, les dirigeants jouent un double-jeu, maintenant la reconnaissance de la marocanité du Sahara décidée par l’ancien (et peut-être futur) président Trump, mais ne le déclarant pas ouvertement, cherchant toujours à gêner Rabat, à ne pas trop mécontenter Alger, et en usant de termes nouveaux comme « la dignité du peuple sahraoui ». Les Américains doivent souhaiter à ce peuple mieux qu’ils n’offrent à Guantanamo, sans doute…
Avec ces deux personnalités désignées à ces deux postes, l’équipe diplomatique marocaine renforce donc son attaque et se met au diapason avec le sélectionneur (Nasser Bourita), connu lui aussi pour son caractère rude, son offensivité naturelle voire son agressivité en cas de besoin. La diplomatie marocaine en a bien besoin car en face, elle rencontre des officiels algériens « bêtes et méchants », hargneux et haineux, des responsables français qui manquent de relief et d’expérience, et un Antony Blinken passé maître dans l’art de la duplicité souriante et de la courtoise fourberie.
La sérénité assurée et assumée du roi Mohammed VI en matière de relations internationales s’appuiera désormais sur ce trio de choc qui relaiera les messages royaux, paisiblement mais en grognant s’il le faut. Le Maroc, dans un monde perturbé où les Occidentaux mordent la poussière, en a les moyens.
Aziz Boucetta