(Billet 932) – L'effondrement moral de l’Occident
Israël a d’ores et déjà perdu cette guerre, et les pays occidentaux qui le soutiennent y ont laissé leur âme. Pire, leur intelligence politique peut être questionnée, quand on voit les différentes positions affichées par certains Etats du G7. Dans les pays arabes et/ou musulmans, on commence déjà à parler de croisade dirigée par le monde judéo-chrétien contre l’islam. Il faudra s’attendre à de la résistance, qui ne peut se produire sans effusion de sang.
Israël est le pays agresseur, et si le droit international ne le désigne pas ainsi, c’est ce droit qui devra changer. Le pays agresseur a été, lui-même, agressé par le Hamas, en ce samedi 7 octobre 2023. Les combattants du Hamas ont incontestablement commis des assassinats, des atrocités, des crimes de guerre. L’intelligence aurait voulu que les alliés d’Israël ne l’encouragent pas dans sa guerre d’extermination, mais qu’ils l’appellent à la retenue, qu’ils lui imposent une riposte modérée. Et qu’ils mettent en usage ce droit international qui leur est si cher.
Il n’en fut rien. Quand le ministre israélien de la Défense, légitimement en colère mais ne maîtrisant pas cette colère, a traité les Palestiniens du Hamas et de Gaza d’ « animaux humains » auxquels il allait couper le gaz, l’électricité et l’eau, aucun Occidental ne l’a recadré, et le SG de l’ONU s’est contenté de se déclarer bouleversé », alors même qu’on allait, qu’on va, qu’on est dans un massacre à grande échelle, conçu en Israël et concerté avec l’Occident. Quand de pleins quartiers de Gaza ont été rasés, Washington et ses alliés ont regardé ailleurs, soliloquant sur la légitime défense et le droit d’Israël à exister. Quand des centaines de milliers de Palestiniens sont sommés de se déplacer vers le sud de Gaza, et alors même qu’ils sont déclarés otages du Hamas par les Occidentaux, ces mêmes Occidentaux se sont tus. Quand un hôpital a été bombardé, emportant des centaines de vies, les chancelleries américaine et ouest-européennes ont déployé des trésors d’imagination et de perfidie pour en imputer la responsabilité à un tir de roquette raté par le Hamas, sans un mot pour les victimes. Quand, sur la chaîne israélienne I24 News, un sinistre individu dit « se moquer du sort des 2 millions de Gazaouis », personne ne l’interpelle ni ne le reprend… Quand, sur les réseaux sociaux, fusent les images de Palestiniens nus, ligotés, couverts d’hématomes, avec des numéros inscrits au gros feutre sur leur dos ou leur ventre, les officiels et dirigeants américains et ouest-occidentaux ne s’offusquent pas le moins du monde.
En 1991, après la guerre du Golfe de 1991, une conférence s’était réunie à Madrid, sous les auspices des Etats-Unis de George Bush Sr et de ce qui restait d’URSS. Les protagonistes n’étaient pas spécialement des colombes, mais en sachant faire la guerre, ils connaissaient aussi les vertus de la paix. Cela avait indirectement abouti aux Accords d’Oslo qui, bien que n’ayant pas été parfaits, avaient servi de plateforme pour faire la paix. Mais cette envie de paix avait été bousculée par les extrémistes de tous les bords. Trente ans après, avons-nous des dirigeants de la trempe de ceux de 1991 ? Il est permis de sérieusement en douter.
Les responsables occidentaux acceptent tout d’Israël, alors même qu’en dépit
du massacre commis le 7 octobre par le Hamas, la riposte doit être mesurée et doit respecter le droit de la guerre et le droit tout court. Mais personne, aujourd’hui, en Europe, aux Etats-Unis, ne semble être en mesure de freiner, ou même juste réfréner, la folie meurtrière qui semble s’être emparée des Israéliens. Et ce faisant, ce sont les populations européennes qui aujourd’hui sont en danger, car la folie meurtrière rencontrera en miroir une autre folie tout aussi meurtrière, en Europe.
Où est donc cet Occident, dont les valeurs ont imprégné le monde dit libre ? Où donc est la mémoire de ses philosophes et de ses humanistes ? Que sont ses grands principes devenus ? Les penseurs des Lumières et leurs successeurs ont-ils voulu cela, ce à quoi nous assistons aujourd’hui ? Il faut croire que oui car, à y bien réfléchir, les Lumières ont brillé et scintillé en Europe simultanément au sinistre commerce triangulaire d’esclaves et aussi au début du désastre colonial ; aux Etats-Unis, la constitution, le droit et les Pères fondateurs n’ont pas empêché l’ethnocide des Amérindiens. Puis, au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale, le droit international a été imaginé et pensé alors même que les puissances coloniales l’étaient encore et qu’elles luttaient, c’est-à-dire tuaient, pour le demeurer. Le droit, les droits, la pensée humaniste et les valeurs suprêmes valent pour les seuls « Blancs », semblerait-il !
Et toujours au lendemain de cette même Deuxième Guerre mondiale, rongés par le remords de la Shoah et de leur incapacité à protéger les Juifs d’Europe, les Occidentaux ont décidé de permettre la création de l’Etat d’Israël, en chassant violemment et à coups de « pogroms » de leurs terres les Palestiniens qui y vivaient depuis des temps immémoriaux, en bonne intelligence avec les Juifs. Depuis, l’Etat hébreu, ravagé par le souvenir de l’Holocauste, a multiplié la répression, les exactions, les déportations contre les Palestiniens, avec l’accord, souvent l’aide, toujours la complicité d’un Occident qui, par ailleurs, fait inlassablement, ad nauseam, la promotion de valeurs qui n’ont jamais vraiment été les siennes, ou qui ne s’appliquaient qu’à ses populations.
Aujourd’hui, ce n’est même plus le cas. La violation des droits de l’Homme bat son plein aux Etats-Unis, où être Noir réduit votre espérance de vie, où être immigré clandestin vous expose à tous les dangers ; en France, une violence croissante frappe tout ce qui est islam et même tout contestataire et, en Europe, toute forme d’immigration. L’Occident a perdu son âme et oublié ce que furent ses valeurs.
Alors oui, Israël doit exister, mais dans le respect du droit de la Palestine à exister aussi. Oui, Israël peut riposter rudement à l’offensive du Hamas mais pas déclencher une vaste et aveugle vengeance contre tout ce qui est palestinien, sans foi ni loi. Oui, l’Occident est libre de choisir ses amis et désigner Israël parmi eux, mais dans le respect du droit et sans tout lui permettre.
Au lieu de cela, nous assistons à ce qui restera dans les livres d’histoire et dans la mémoire des hommes comme une faillite morale et un effondrement civilisationnel de l’Occident, Israël compris ; un Occident, Israël compris, qui a gagné sa place dans le panthéon de l’Horreur et perdu son âme face à l’humanité et l’humanisme.
Aziz Boucetta