(Billet 908) – Le Sahara et les prouesses langagières

(Billet 908) – Le Sahara et les prouesses langagières

Pour le Maroc, le Sahara est marocain. Et pour mieux signifier la chose, le roi Mohammed VI avait dit en 2014 que « le Maroc restera dans son Sahara, et le Sahara demeurera dans son Maroc jusqu’à la fin des temps (…). L’initiative d’autonomie est le maximum que le Maroc puisse offrir… ». A partir de ce constat, soucieuses de ménager la chèvre algérienne et le chou marocain, les diplomaties mondiales ont déployé et déploient encore des trésors d’imagination pour définir le plan d’autonomie présenté en 2007 par le royaume.

C’est dans ce dossier que l’on peut voir la complexité du monde d’aujourd’hui, avec ses intérêts qui se croisent, les compétitions entre Etats, les coups diplomatiques et autres positions ou postures politiques. En relations internationales, le Verbe est important, car il permet d’éluder et de faire gagner du temps en même temps que, si possible, de l’argent.

Il existe ainsi trois catégories de pays, concernant l’affaire du Sahara, ceux qui reconnaissent sa marocanité, ceux qui soutiennent la RASD et ceux qui sont entre les deux. Dans la première catégorie, où l’Afrique francophone et les pays du Golfe sont présents en masse, certains Etats sont allés plus loin que les autres en ouvrant des représentations consulaires dans las provinces du sud, créant ainsi un cas d’école international, à mettre au compte de la diplomatie marocaine. D’autres se sont contentés de reconnaître la souveraineté du Maroc sur cette partie de son territoire. Mais tous ces pays ont le courage politique, la cohérence historique ou la lucidité géopolitique pour dire ce qui est, que le Sahara est marocain.

La seconde catégorie est faite de pays à l’idéologie marquée, voire exacerbée. Aux côtés de l’Algérie et de l’Afrique du Sud qui tient le rôle de supplétif dans un conflit qui n’est pas le sien et pour lequel Nelson Mandela s’était clairement prononcé, en faveur du Maroc, nous trouvons, pêle-mêle, des régimes aussi riants que ceux de la Corée du Nord, du Venezuela, du Timor Oriental... Même la Russie, pourtant soutien de l’Algérie dans bien des affaires sans importance, se limite à soutenir l’idée d’un référendum au Sahara, mais sans reconnaître ce machin appelé RASD. La diplomatie marocaine s’attelle à expliquer aux autres nations de cette catégorie que leur position pro-RASD pro-RIEN va à contresens de l’histoire et de la géopolitique contemporaine.

Et puis il y a la 3ème catégorie… Les pays qui y figurent s’attachent à la proposition d’autonomie présentée à l’ONU en avril 2007 par le Maroc, et qui constitue « le maximum que le Maroc peut offrir » selon le roi et 37 millions de Marocains (moins une centaine peut-être…). Dans cette catégorie dans laquelle se trouvent une centaine de pays, chacun d’eux élabore une formule dédiée pour exprimer son soutien au Maroc sans (trop) offusquer l’Algérie : « importance du plan d’autonomie », « soutien indéfectible au plan d'autonomie », « saluer ‘positivement’ le plan d’autonomie », « ‘unique’ solution », « solution la plus crédible », « solution sérieuse et crédible, et une très bonne base pour la solution au différend », « seule solution », « un point de départ crédible »,...

« contribution sérieuse et crédible »… Et il en va ainsi à l’infini.

Tous ces pays louant, exaltant, se félicitant, applaudissant le plan d’autonomie reconnaissent en creux que ce territoire est marocain car l’autonomie ne peut se faire que dans le cadre d’un Etat. L’ONU, pour sa part, définit trois situations de pleine autonomie : Indépendance et souveraineté,  association à un État indépendant, intégration à un État indépendant. La RASD opte, naturellement, pour le premier cas, le plan marocain étant dans les deux autres. Or, la centaine de pays qui retient la « crédibilité », « sérieux », « unicité », « crédibilité » de la solution marocaine rejoint ipso facto la proposition marocaine, légitimée par l’histoire et renforcée par la pluie de milliards (de dollars) d’investissements au Sahara. Ils s'ajoutent à ceux qui ont ouvert un consulat ou qui reconnaisent explicitement la marocanité du Sahara, ceux qui affirment la nécessité de la stabilité dans la région, et ceux qui reconnaissent les efforts marocains déployés dans ses territoires méridionaux

Cela étant, les Etats qui louent le plan d'autonomie marocain sans aller plus loin contribuent encore à l’opacité onusienne savamment entretenue dans cette affaire, la question du Sahara étant la seule à être traitée simultanément par trois organes des Nations Unies, le Conseil de Sécurité, le Comité des Vingt-Quatre et la 4ème Commission. On ne peut trouver mieux pour enterrer un dossier et maintenir l’opacité, comme sait si bien le faire « la communauté internationale » avec son atout principal, le « droit international », c’est-à-dire occidental, ou encore celui des vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale. Entretenir les rivalités pour affaiblir, affaiblir pour dominer, dominer pour assujettir…

… sauf que nous sommes en 2023, que les menaces globales sont aussi nouvelles qu’exacerbées, que de nouveaux blocs se forment et prennent forme, que l’Afrique est aux premiers rangs des appétits des uns et des autres et que le Maroc a compris les enjeux et refuse de jouer davantage le jeu. L’heure n’est plus à l’hésitation, aux formulations alambiquées, aux procrastinations diplomatiques ; il faut choisir. Le bloc occidental exige implicitement (peut-être même explicitement) au Maroc de choisir son camp, le Maroc peut demander en retour de choisir entre lui et l’Algérie. Les Etats-Unis l’ont compris (image), comme le montre la confirmation de l’Accord Tripartite par Washington, Israël aussi, l’Espagne y est presque, l’Allemagne aussi…

Aujourd’hui, la (re)polarisation du monde s’incarnant dans l’opposition entre G7 et BRICS (sans le récent +), il appartient aux pays du premier groupe de rallier le plus possible d’alliés fiables et prometteurs. Le Maroc en est un, l’Algérie non. L’heure n’est plus aux embrouillaminis langagiers mais à la clarté et au courage diplomatiques. Comme le dit l’éminent sociologue Mohamed Cherkaoui : « Sans le Maroc le Sahara n'est que désert, et sans le Sahara l'histoire du Maroc est incompréhensible »… et le futur du Sahel et de l’Eurafrique est périlleux, pourrions-nous ajouter.

Et dans cette logique, le Maroc devra affirmer et affermir sa politique du « prisme diplomatique » à l’encontre des pays adeptes de la diplomatie du verbe, de la diplomatie verbeuse.

Aziz Boucetta