(Billet 906) – Un mois d’août très show

(Billet 906) – Un mois d’août très show

Traditionnellement, le mois d’août est celui des vacances, pour les plus chanceux, ou d’une certaine relâche, pour les autres. Cela tombe bien, car au Maroc, nous avons trois jours fériés, quatre en comptant la fête du Trône, et cela tombe encore mieux car le départ vers l’oisiveté se fait, pour celles et ceux que la politique et la marche de la cité intéressent, avec une feuille de route déclinée lors du discours du 30 juillet. Cette année, la feuille de route s’est résumée en un seul mot : le sérieux, ou lmaâqoul. Retour sur un mois d’août, néanmoins, plein de faits, de non-dits, d’absences et de manque de… maâqoul.

1/ Drame au McDo. 31 juillet, quelques heures après cette exhortation au « sérieux », prononcé 14 fois, une bande de jeunes s’en prend à un jeune homme sur le parking d’un fast-food casablancais. Le jeune homme est frappé, laissé pour mort, puis écrasé par l’imposant 4x4 d’un autre jeune, récidiviste, interpellé quelques heures après à… Laâyoune. Emoi général et tollé justifié, communiqués du parquet et attente d’un jugement, juste mais non revanchard, exemplaire et pour l’exemple. Un jeune chercheur a trépassé, la loi doit passer.

2/ L’odeur rance de la non-concurrence. Le 3 août, concerné par la désormais lassante question de l’entente présumée des pétroliers, le Rapporteur du Conseil de la concurrence communique… Il dit qu’il a « notifié des griefs » à neuf de ces entreprises, griefs fondés sur des « éléments suffisamment probants, caractérisant l’existence de pratiques anticoncurrentielles commises par les parties mises en cause sur les marchés de l’approvisionnement, de stockage et de distribution du gasoil ». Il leur demande gentiment de se justifier. Finalement, et même si ces griefs « ne sauraient préjuger de la décision finale », est-il prudemment précisé, le Rapporteur dit la même chose que le parlement en 2018, que le Conseil de la concurrence avant 2020, que le Conseil de la concurrence après 2020 (avis de septembre 2022), et que tout le monde… Attendons donc encore et encore, mais gardons à l’esprit le « maâqoul » réclamé par le roi…

3/ Diplomatie du dire trop ou pas assez. Les 6, 7 et 8 août, les ministres des Affaires étrangères et du Budget, Nasser Bourita et Fouzi Lekjaâ, se transportent dans le Golfe, passent dire bonjour aux princes du Qatar, d’Arabie et des Emirats Arabes Unis. Ils ont parlé, disent les communiqués, des relations bilatérales. On s’en serait amplement douté… Mais encore ? Rien. Pourquoi M. Lekjaâ était-il du voyage ? On n’en saura pas plus. Bon, mais ce n’était peut-être pas nécessaire de communiquer pour ne rien dire ou pour préciser que le sujet était la relation bilatérale, ce qui équivaut à ne rien dire. On sait bien que quand M. Bourita va dans le Golfe, ce n’est pas pour évoquer la forêt amazonienne ou le déneigement à Anchorage

4/ Quand les services communiquent… Le 7 août, un citoyen roumain, otage au Sahel depuis 8 ans, oublié depuis, est libéré. Deux jours plus tard, les officiels roumains remercient le Maroc pour son étroite, forte et très efficace collaboration. On ne publie pas ce type d’informations si on ne dispose pas de l’accord des services ayant contribué à cette libération. Décodage, les Marocains voulaient faire savoir leur efficacité et la pertinence de leur présence au Sahel. Par les temps de grande bascule et d’avalanche de coups d’Etat qui courent dans la région, Rabat marque un point, voire plusieurs, certainement les mêmes points perdus par d’autres, qui se reconnaîtront.

5/ Malaise en justice. Les 7 et 9 août, un communiqué rageur de l’Administration pénitentiaire paraît, fulminant contre la surpopulation carcérale qui a franchi le seuil des 100.000 détenus (dont 39% sont en préventive), en en imputant la responsabilité aux juges assis ou debout, mais vent debout contre le crime et incarcérant à tour de bras. Cela vaut à ladite Administration une réponse cinglante et non moins rageuse de l’Alliance des magistrats...

qui rejette, récuse et refuse ce qu’elle considère – à juste titre – comme une insoutenable interférence dans le sacrosaint principe de l’indépendance des juges. Le 9, un très long communiqué du parquet sort, fournit chiffres et explications, détaille les incarcérations, justifie la surpopulation et appelle, pacifiquement, à une grande réunion des institutions. En gros, les matons vitupèrent, les juges sont en colère et les procureurs tempèrent… pendant que pour tant de justiciables vivent la galère.

6/ Hécatombe estivale. Le 7 août, un minibus verse dans un ravin près de Demnate. 24 personnes périssent. Ce n’est semble-t-il pas assez pour déranger nos ministres et les sortir de leurs villégiatures ; ils ne disent rien, même pas n’importe quoi. Torpeur et festivals pour les uns, horreur estivale pour des dizaines de familles, des centaines de personnes… on fait mieux en matière de maâqoul.

7/ Banco bancal. Le 8 août, le CRI de Dakhla annonce que le géant chinois des batteries électriques Huayou allait investir 200 milliards de DH à Dakhla. Seuls les médias en parlent, les ministres concernés, Investissement, Finances, etc… demeurent absents et silencieux. Il ne s’agit, après tout, que du 7ème du PIB national, même sur 7 ans. Mais le communiqué du CRI est retiré, promptement. Sans doute qu’au lieu de 7 ans, nous attendrons 107 ans ! Sauf coup de théâtre… chinois, ou plus de maâqoul de communication chez nous.

8/ Ticket pour la prison. Le 11 août, le juge d’un tribunal casablancais abat son glaive et frappe du marteau. Prison ferme pour Mohamed Hidaoui et Adil el Omari. Le premier est député RNI et président du club de foot de Safi, le second est journaliste sportif. Ils étaient poursuivis pour l’affaire des ventes aussi indélicates que délictueuses des billets du Mondial de Qatar. Le représentant de la nation reste en prison, le journaliste attend l’appel pour l’y, éventuellement, rejoindre. La justice a fait son travail, c’est bien et c’est heureux. Tous les responsables de cette affaire ont-ils été jugés ? Peut-être que oui, mais peut-être que non…

9/ Les prix des carburants s’enflamment. Cinq augmentations des prix des carburants en moins d’un mois. En principe, ces prix doivent être corrigés chaque quinzaine mais les principes n’engagent que ceux qui y croient, semble-t-il. Cela tombe mal, au moment même où le Conseil de la concurrence adresse des griefs aux pétroliers (point 2/). Mais, Dieu merci, notre gouvernement est inégalable et contre cette maladie inflationniste, il déploie sa thérapie par l’humour ; en effet, le porte-parole du gouvernement dont le nomimporte peu a déclaré la semaine dernière que « ce gouvernement fait de l’amélioration du pouvoir d’achat une de ses priorités ». Ça, c’est du maâqoul.

10/ Les dents de l’amer. Ils étaient quatre estivants à se promener sur leurs jet-skis au large de Saïdia, et ils se sont égarés. Soudain, les prédateurs surgissent, sur leur zodiac, arborant les culeurs algériennes, ils tirent, tuent deux jeunes hommes, en récupèrent un, l’incarcèrent, et sortent un communiqué rageur et vengeur. Drebni ou bka, sbeqni ou chka, dit-on chez nous. Les médias du monde entier, dont le Maroc, ont parlé de cette tuerie qui contrevient au droit de la mer, aux règles de bienséance et à celles de l’humanité la plus élémentaire. Chez nous, rien, pas un mot des officiels, à l’exception de l’inénarrable porte-parole du gouvernement (finalement, il s’appelle Mustapha Baitas) qui, interrogé, botte en touche et affirme que tout cela est du ressort de la justice ! Sympa pour les familles des victimes, endeuillées, et l’opinion publique, ulcérée et meurtrie. Pas de maâqoul à l’horizon mais grosse amertume à la place.

 

Allez, bonne reprise à toutes et tous, avec le plus de maâqoul possible. Mais précisons néanmoins que ce maâqoul requiert certes de la compétence technique, mais aussi de l’intelligence politique, de l’intégrité morale et de l’empathie à tous les étages. Et… félicitations à nos Lionnes qui conjuguent le maâqoul au féminin !

Aziz Boucetta