(Billet 905) – Discours du Trône : le "sérieux", ce facteur sans lequel rien n’est possible

(Billet 905) – Discours du Trône : le "sérieux", ce facteur sans lequel rien n’est possible

Il aura finalement fallu que ce soit le roi qui le dise, qui le répète, qui le martèle, qui l’assène. Il faut du sérieux à ce pays, du sé-rieux ! Bien des choses sont réalisées et peuvent bien et mieux l’être avec du sérieux, et bien d’autres choses pourraient être faites avec du sérieux. Un avertissement à prendre au sérieux, pour faire les choses sérieusement…

Dans son discours du Trône 2023, le roi Mohammed VI a fait à son habitude une sorte de récapitulatif sur l’état du pays, revenant sur certains faits qu’il a lui-même conduits ou conclus : l’exploit du Mondial du Qatar, la voiture à hydrogène de conception marocaine (même si non locale puisque développée en France), le lancement du Programme d’investissement vert du Groupe OCP…

Le chef de l’Etat a également évoqué les fondamentaux de la cohésion sociale au Maroc, et il a rappelé l’importance de relations cordiales voire amicales avec l’Algérie voisine, qui semble toujours ne pas en comprendre l’utilité.

Mais ce qui paraît être le plus important est l’insistance sur le "sérieux", un terme employé pas moins de 14 fois dans le discours ( jiddiya, dit le roi, lmaâqoul en darija, le fameux maâqoul). Quand on connaît la rigueur avec laquelle sont rédigés les discours royaux, et quand on sait le nombre de personnes qui les lisent et relisent avant la validation par le roi lui-même, on peut valablement supposer que cette récurrence du mot sérieux ne doit rien au hasard et que l’utiliser autant de fois pour tant de domaines indique que ce qui manque le plus cruellement à ce pays est… le sérieux.

C’est avec sérieux que les grandes réformes entreprises dans ce pays ont été lancées et adoptées, et c’est sans doute par manque de sérieux que, souvent, aujourd’hui, elles patinent, elles pataugent. C’est avec sérieux que le constat du besoin d’un nouveau modèle de développement avait été dressé par le roi mais c’est par double manque de sérieux que personne ou presque n’en a proposé deux années durant et qu’une fois proposé par la commission Benmoussa, il a été pour ainsi dire enterré par le gouvernement Akhannouch.

C’est avec sérieux que la question du Sahara connaît de belles embardées et c’est par manque de sérieux qu’il reste tant à faire, socialement et humainement, dans nos provinces du Sud. C’est avec sérieux que la régionalisation avancée a été pensée, conçue, rédigée et adoptée, mais c’est par manque de sérieux qu’elle ne procure pas les résultats attendus. C’est avec sérieux que la réforme du code de la route avait été menée à son terme mais c’est par manque de sérieux, de


tous, que nous avons encore autant d’accidents de la circulation… La liste n’est pas exhaustive !

Est-ce sérieux, par exemple, qu’en temps de rareté, voire de stress hydrique, nous continuions de développer et de soutenir tant de cultures hydrophages et que nous envoyions des gens dans les médias défendre l’idée abracadabrantesque que nous sommes excédentaires dans la balance commerciale de l’eau ?

Est-ce sérieux que nous parlions de souveraineté énergétique et que la raffinerie Samir soit toujours fermée, sans aucun débat sérieux autour de la question ?

Est-ce sérieux que notre chef de gouvernement ne s’adresse jamais à la population, malgré les problèmes qui surgissent ici et là et les reliquats de problèmes survivant au passé ?

Est-ce sérieux que le chef de l’Etat appelle, l’année dernière, à longueur de discours, à réformer le code de la famille et en creux le statut des femmes ou encore à prendre au sérieux la question des Marocains du monde et que, un an après, nous ne voyions rien venir en dehors de moult citations du discours en référence mais sans gouvernance ?

Est-ce sérieux que la question des libertés individuelles se pose aussi clairement mais que ni gouvernement ni parlement n’enclenchent un débat de société qui trancherait, dans un sens ou un autre ?

Est-ce sérieux d'appliquer une retenue à la source de 30% aux personnes physiques, les considérant en creux, tous, comme des fraudeurs potentiels, et de transférer ainsi les difficultés de trésorerie de l'Etat aux contribuables ?

Est-ce sérieux de continuer d'embastiller les gens sous le statut de la détention préventive et d'avoir près de la moitié de la population carcérale composée de présumés innocents ?

Est-ce sérieux de nous présenter en « puissance régionale », en futur dragon (inshallah), en économie émergente, mais qu’en matière de fintech, nous soyons encore si terriblement en retard, et alors même que nos ingénieurs, nos informaticiens, nos savants font la joie et assurent la prospérité des économies dans le monde ?

La litanie des exemples et des cas peut encore se poursuivre. Ce qui nous manque, au Maroc, est le sérieux, la force de l’engagement, la volonté de faire et de conquérir, la témérité d’oser, la sagesse de respecter la loi et, pour ceux qui la font, l’audace de la faire avancer. C’est sans doute pour cela que le roi Mohammed VI n’a pas annoncé dans son dernier discours des réformes à lancer ou des politiques publiques à mettre en œuvre. Il l’a déjà fait et les projets sont pléthore !

Aujourd’hui, tous les facteurs (ou presque) pour un développement réel sont assurés, mais les projets ne pourront réellement voir le jour et prospérer qu’avec du sérieux.

Le sé-rieux ! El-maâ-qoul !

Aziz Boucetta