(Billet 897) – Algérie du Sud et Algérie du Nord, France du Nord et France du Sud

(Billet 897) – Algérie du Sud et Algérie du Nord, France du Nord et France du Sud

Décidément, cette histoire entre la France l’Algérie n’en finira jamais ! 132 années d’occupation, de colonisation, d’appropriation, 8 ans de guerre et de massacres croisés et 61 ans d’indépendance formelle faite de dépendance aussi mutuelle qu’éternelle, cela laisse des traces… La France ne peut pas plus se passer de l’Algérie que l’Algérie de la France, avec le Maroc et le Maghreb comme victimes collatérales d’une identité tumultueuse.

En 1827, le dey d’Alger reçoit le consul général de France Pierre Deval et s’énerve contre lui et contre la France, pour une sombre question d’argent. S’en suit le fameux soufflet… une petite gifle pour le consul Deval, une grande claque pour le Maghreb. La gifle allait servir de remplacement des Ottomans en Algérie, après 4 siècles, par les Français, pour un siècle et demi, et même plus. Autant d’occupations, sur tout ce temps, cela forge un caractère, que l’on retrouve aujourd’hui chez nos voisins irascibles, qui ont installé l’armée aux commandes d’à peu près tout, une armée dont les chefs se prennent pour des Ninjas et dont le peuple n’en peut plus de ne pas savoir où il en est.

D’où la France…

La France, donc, en 1962, est partie sans vraiment partir, restant sans tout à fait rester ; c’est certes un peu pareil pour les autres pays du Maghreb mais disons que c’est plus marquant en Algérie. Les Algériens, donc, entre 1954 et 1962, hurlaient à la France de s’en aller, en chœur, mais les Français natifs du coin avaient le cœur à rester, et tout cela avait créé une grosse dose de rancœur, de part et d’autre, qui est toujours là. Alors, pour aller vite et faire court, cela a donné cette chose appelée indépendance de 1962 mais, quelques temps après, cela a aussi abouti à l’Accord de 1968 qui, en gros, permettait et permet encore une sorte de libre-circulation, à un sens. Qui dure encore et perdure toujours.

Et on en arrive à aujourd’hui… Une France qui ne sait plus quoi ni comment faire avec l’Algérie, laquelle ne se résout pas à couper le cordon ombilical. De l’énervement éternel côté sud, de l’agacement croissant versant nord. Résultat : des millions d’Algériens en France. On parle de 15% de la population hexagonale qui aurait peu ou prou un lien avec l’Algérie : des pieds-noirs et leurs enfants et petits-enfants, des binationaux, des descendants de Harkis, d’anciens soldats et de nouveaux immigrés, et tant d’autres, liés par des relations économiques, affectives, historiques, foncières, foncièrement profondes et singulièrement compliquées.

Plus profondes, plus compliquées sont les relations qu’entretiennent les deux Etats, des relations faites de hauts et de bas, fondées sur l’économie et les intérêts des entreprises françaises mais aussi sur l’énergie, le gaz, oui, un peu, et surtout la sécurisation de l’uranium nigérien si proche de


la frontière algérienne… fondées également sur la situation globale dans la zone Sahel, où la France est, on peut le dire, sévèrement malmenée et où la France compte sur le soutien algérien pour maintenir un semblant de présence, en défense de ses intérêts restants… fondées enfin sur des questions humaines et des histoires de vie et de destin variables.

De Jacques Chirac vieux président qui, jeune, avait fait la guerre en Algérie et qui avait effectué une très importante, sur le plan de la symbolique, visite d’Etat à Alger en 2003, à Nicolas Sarkozy, qui n’entretenait pas de bonnes relations avec l’Alger d’Abdelaziz Bouteflika pré-AVC, conquérant, à François Hollande qui avait tenté, mais en vain, d’avancer sur le terrain mémoriel avec un président post-AVC, diminué… avant l’actuel président Macron qui voulait – l’imparfait est important – entrer dans l’histoire comme étant celui qui aura apuré le contentieux historique avec Alger. Las, le (trop) jeune chef de l’Etat aura pris la mesure de la complexité d’une Algérie où jamais rien n’est clair, dont les signes d’amitié préludent à des actes d’hostilité, et qui manie le chaud et le froid avec une confondante dextérité. Emmanuel Macron commence à comprendre la complexité de son entreprise de réconciliation difficile et d’effacement d’un passé qui ne cesse de se rappeler au présent et de menacer l’avenir. Complexité, voire impossibilité.

L’Algérie est une affaire intérieure française, sociale, politique, économique, et policière, et la France est une plaie ouverte algérienne, dans la mémoire, à cause de l’histoire. 132 années d’occupation et d’appropriation, plus 8 autres de guerre ne peuvent être effacées par 61 ans de dépendance mutuelle. Alors la classe politique française, lasse et agacée, ne voyant rien venir d’autre d’Algérie que des gens qui s’installent, se lève et élève de plus en plus la voix pour dénoncer l’Accord migratoire de 1968, prélude à une profonde remise en question de ses relations avec sa créature ; il n'est certainement pas fortuit de voir l'ancien ambassadeur de France en Algérie, deux fois, se démener pour dire haut, très haut, ce qu'est véritablement – et ne cessera d'être – l'Algérie. Et peut-être même que le président Macron comprend qu’en désavouant et en s’éloignant de ce si mal élu et si impopulaire président « Tebboune », en prenant ses distances avec l’armée qui le guide et le téléguide, il gagnerait bien plus qu’il ne perdrait. Sur tous les plans, intérieur extérieur, et dans tous les domaines, sécuritaire, militaire et même populaire.

La France du Nord et du Sud, l’Algérie du Sud et du Nord, en un mot la Françalgérie, ne peut plus durer sans faire endurer le pire à la France et aux populations algériennes. Le temps fait bien les choses, dit-on ; il est temps de bien les faire…

Aziz Boucetta