(Billet 895) – Comment l’Occident nous perçoit et comment nous le percevons

(Billet 895) – Comment l’Occident nous perçoit et comment nous le percevons

Dans l’affaire du Sahara, une question se pose : pourquoi les grandes puissances ne prennent-elles pas la décision de revenir à l’Histoire et à sa lecture objective et documentée, simplement ? Pourquoi la thèse algérienne est-elle encore portée et supportée par tant de nations, et essentiellement les cinq permanents du Conseil de sécurité, cette position qui défend le droit à l’autodétermination ? Pourquoi le Maroc ne réussit-il pas à convaincre de la légitimité de sa revendication ? La réponse est dans la politique certes, mais aussi, et peut-être surtout dans la perception des uns par les autres…

De par l’histoire commune qu’il a avec cette région du monde qu’est le Maghreb, Paris sait les tensions, et s’il ne les alimente pas nécessairement, il s’en nourrit aisément. Le conflit maghrébin est ainsi appelé à rester enlisé dans ses sables des années voire des décennies encore. La France, ancienne puissance coloniale ou protectrice de la région, a la main en Europe et tant qu’elle ne franchit pas le pas de la reconnaissance de notre Sud comme étant notre Sud, les autres nations du Vieux Continent maintiendront leur politique ambigüe. Et confortable.

Or, des deux pays principaux du Maghreb, le Maroc est celui qui s’inscrit le mieux dans les contraintes et défis planétaires, respecte le mieux les traités et les conventions, s’inscrit le plus dans la légitimité internationale et respecte le plus les droits et libertés de sa population. L’Algérie, quant à elle, demeure cet Etat crypto-militaire en déphasage géopolitique avec son environnement méditerranéen et en décalage par rapport à sa population.

Le problème du Maroc est dans la perception qu’il projette à l’étranger, une perception dûment alimentée par son adversaire algérien. « Le Maroc est une dictature », disait récemment encore Yolanda Diaz, vice-présidente sortante mais vice-présidente quand même du gouvernement espagnol. Cette remarque est la conclusion à laquelle arrivent tant de gouvernements et de responsables européens et américains, même s’ils ne la professent pas aussi directement, aussi abruptement, aussi crûment que Dame Diaz.

Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que le Maroc ne sait pas vendre ce qu’il est, et encore moins vendre ses atouts. Répéter à l’infini que nous sommes une démocratie n’est pas une solution, car n’étant pas « Occidentaux », nous ne sommes donc pas une « démocratie à l’occidentale ». Et nous prêtons le flanc aux critiques, voulant nous faire passer pour ce que nous ne sommes pas, et ne serons jamais. Or, les autres continuent de nous regarder et de nous observer en fonction de leurs critères, renforcés par leurs médias, plus puissants et plus percutants que les nôtres.

Nous n’observons les autres et ne les critiquons qu’en fonction de leurs erreurs ou errements, comme l’assaut du Capitole aux Etats-Unis, les émeutes et l’insécurité en France ou l’instabilité politique ailleurs. Quant auxdits autres, ils nous « jugent » et nous évaluent pour ce que nous sommes, rejetant notre manière d’être et de vivre, ou acceptant de la regarder à l’aune de son exotisme.

Comment donc convaincre que nous sommes une démocratie, à notre manière et selon nos traditions, si nous n’agissons pas en force, avec des médias forts et réellement internationaux, dotés des moyens adéquats, avec des productions cinématographiques à grand spectacle qui rappelleraient ce que nous fûmes et ce que nous sommes (comme les grandes productions « Harim Sultan » en Turquie ou « les Tudors » pour la Grande-Bretagne), avec des responsables qui parlent et argumentent ?… Comment ferions-nous tout cela et réussirions-nous à en convaincre les autres si nous n’en sommes pas convaincus nous-mêmes et si nous ne le faisons pas savoir, haut et fort, et même offensivement s’il le faut , « quoi qu’il en coûte » ? Comment convaincre de nos particularismes si nous ne défendons pas le relativisme culturel ? Comment ne pas être jugés si nous ne jugeons pas à notre tour ?

Ce n’est pas le Maroc qui n’est pas une démocratie, avec son pouvoir exécutif, monarchique, au temps long, ce sont les pays d’Occident qui vivent l’instabilité politique, avec des changements de responsables tous les cinq ans ; et que peut faire une société en cinq ans ? Ce n’est pas le Maroc qui n’est pas respectueux des droits de l’Homme, ce sont les pays d’Occident qui, avec une "liberté" survendue, conduisent leurs populations à s’insulter, à s’invectiver, à profaner, à gifler même leur président ou à l'insulter, à  verser dans une violence de plus en plus large et dans un vivre-ensemble de moins en moins évident.

La différence est qu’eux ont imposé leurs systèmes dans leurs pays et dans le monde et que nous, nous avons toujours ce réflexe du colonisé consistant à nous regarder dans les yeux de l’Autre, des autres. Observons les Chinois, les Japonais, les Turcs, les Brésiliens, les Saoudiens, les Russes, les Sud-Africains… observons comment ils vivent, respectent leurs traditions et leurs histoires propres, comment ils en sont convaincus et en convainquent ce même Autre, ces mêmes autres, sans se soucier des jugements forcément biaisés de « l'Occident ». Au Maroc, nous n’avons pas le « folklore » (image), nous avons notre Tradition et notre Histoire, et nous devons en convaincre les autres, à défaut de leur imposer.

C’est peut-être ainsi, en agissant avec force et conviction, en améliorant certes les facteurs universels de liberté et d’égalité (comme la justice ou la parité de genre, qui en ont besoin), en affirmant notre système social et politique, que nous pourrons, peut-être, nous imposer aux yeux du monde et faire valoir nos droits, fondés entre autres sur nos traditions, et nos causes, puisant leur légitimité dans l'Histoire. Autrement, nous resterions toujours sous la loupe et la coupe des autres Etats, qui ne feront jamais rien pour nous que nous ne ferions nous-mêmes.

Aziz Boucetta