(Billet 887) – Ilyas el Omari, le bruyant retour qui se veut discret

(Billet 887) – Ilyas el Omari, le bruyant retour qui se veut discret

Dans une sphère politique marocaine atone, aphone et admirablement monotone, il peut par moments se produire quelque chose d’inhabituel. Et ce qui se passe aujourd’hui est le retour d’un personnage qui avait défrayé la chronique, qui avait voulu tout avoir et tout prendre – de ce qui est bien évidemment prenable – et qui, au final, a perdu… un personnage qui a, depuis, disparu, laissant derrière lui une traînée de mystères. Et le voilà qui revient sur le devant de la scène, Ilyas el Omari…

Ce retour ne peut être anodin, au vu du passé du personnage, essentiellement sur les vingt dernières années. Il était omniprésent, d’abord en coulisses puis au grand jour, pour faire de la grande politique, en attendre de grands résultats avant de connaître de grandes déceptions et de non moins grandes défaites.

Ilyas el Omari fut membre d’une pile d’organismes à l’importance variable puis il s’est placé comme cheville ouvrière et fondateur du PAM, avec l’actuel conseiller du roi Fouad Ali el Himma. De ces activités, de cette proximité, de ces affinités, Ilyas el Omari tire sa puissance, qui fait de lui l’élément incontournable de la politique nationale durant la « décade PJD » ; il fut même l’ennemi intime et préféré de l’ancien chef du gouvernement Abdelilah Benkirane.

C’était l’époque où la politique marocaine était un film parlant, avant qu’elle ne régresse et retrouve le muet. Ceci expliquant cela…

Ilyas el Omari vient d’accorder un long entretien à nos confrères d’Hespress, un entretien visionné par près d’un demi-million de personnes en deux jours ! C’est dire l’importance du personnage et surtout de l’attrait qui est le sien, avec ses mystères et ses zones d’ombre, son magistère et ses postures souvent sombres.

Pourquoi ce retour, car c’est bel et bien un retour, tel qu’il l’a expressément reconnu lors de cet entretien ? Une réponse pourrait être que l’homme apparaît quand la politique nationale patauge. Elle pataugeait à la fin de la décennie 2000, quand les partis traditionnels et administratifs cherchaient une introuvable place au sein d’un échiquier politique improbable ; et elle patauge aujourd’hui encore avec cette incertitude qui flotte, ces non-dits qui planent, et cette majorité écrasante qui écrase par son silence et son opacité. Alors, Ilyas el Omari reparaît.

Il arrive, serein, physiquement transformé, mentalement différent, intellectuellement assagi, ou du


moins le semble-t-il. Du passé, dit-il, il fait table rase, mais son propos est lourd. Il raconte une anecdote à travers laquelle, dans la première décennie du siècle, il conversait avec des personnages sur le genre de médias qu’ils attendaient et la réponse était « des médias qui relatent l’existant, qui rapportent le réel » : interrogé à son tour, il avait dit que lui voulait « des médias qui changent l’existant, qui influent sur le réel et le modifient ».

Ilyas el Omari revient donc, mais par le canal des médias. Aspire-t-il toujours à « changer l’existant, à influer sur le réel » ? La question mérite d’être posée, tant il est vrai que les mots de M. El Omari sont à prendre au second degré, voire au troisième, toujours au sérieux. La question doit même être posée car cet homme n’est pas un amateur ; s’il dit qu’il reprend Cap Radio pour en faire une radio différente, pour imaginer et créer des émissions différentes, et qu’il veut diffuser en darija, tarifite et espagnol, c’est qu’il a une idée derrière la tête. Le tout est de comprendre cette idée, mais cela promet d’être une rude affaire, M. El Omari étant un homme, n’est-ce pas, entouré d’un halo de mystère. Qu’il faut décoder…

De la même manière qu’il faut décoder la chronologie de son « départ » voici quelques années… Octobre 2016, il perd son duel face à Abdelilah Benkirane mais il demeure président de la région Tanger-Tétouan-al Hoceima, conquise en 2015. Fin mai 2018, après une longue période d’incertitude toujours mystérieuse sur son sort, Ilyas el Omari quitte ses fonctions de secrétaire général du PAM. Quelques jours plus tard, le 7 juin 2018, c’est l’incroyable scène de « Akhannouch irhal » (Akhannouch dégage) scandé devant le roi Mohammed VI à Tanger, où M. El Omari est toujours le tout-puissant président de région. 15 mois plus tard, en septembre 2019, Ilyas El Omari démissionne sans raison connue ou avouée de la présidence de sa région. Une chronologie précipitée. A questionner, avec le recul.

Ilyas El Omari serait-il un homme providentiel, celui par lequel les problèmes surgissent, mais aussi celui qui les solutionne ? Ilyas El Omari réussira-t-il ce challenge qui doit préalablement être identifié et défini ? Affaire à suivre car cet homme est très particulier et il survient à un moment encore plus particulier…

Aziz Boucetta