(Billet 883) – Être chrétien au Maroc

(Billet 883) – Être chrétien au Maroc

Selon la constitution de 2011, le Maroc est un « Etat musulman » et « l'Islam est la religion de l'État » ; pour sa part, « le roi (est) commandeur des croyants et veille au respect de l’islam ». Avec tout cela, la cause est entendue, le Maroc est musulman et l’islam est sa religion d’Etat. Mais, pour autant, il existe des minorités religieuses de plus en plus visibles, de plus en plus audibles. Et leurs droits sont respectés, ainsi que vient de le rappeler le roi Mohammed VI.

Dans son adresse à la conférence interparlementaire sur le dialogue interconfessionnel qui se tient à Marrakech, le roi a rappelé que « si l’islam est la religion de l’Etat, la constitution du Maroc, quant à elle, stipule que ‘l’Etat garantit à tous le libre exercice des cultes’ ». Le souverain ajoute qu’en sa qualité de commandeur des croyants, il se porte garant du libre exercice des cultes et de « la protection des juifs et des chrétiens marocains venus d’ailleurs pour résider au Maroc ».

C’est semble-t-il la première fois qu’à ce niveau de responsabilité au sein de l’Etat, l’existence de « chrétiens marocains » est affirmée et confirmée ; le « venus d’ailleurs » est sans doute pour atténuer… En effet, si aucune religion ou minorité n’est interdite par les textes juridiques du royaume, seules les confessions musulmane et juive sont explicitement reconnues, l’islam parce que c’est la majorité et le judaïsme parce que c’est l’Histoire. Le christianisme, qui a prospéré sur nos terres au début de l’ère chrétienne, venu dans les pas des légions romaines christianisées dès le 4ème siècle, a entretemps disparu. Et le voilà qui est reconnu, aujourd’hui, par le roi, commandeur des croyants !

La phrase est certes alambiquée, évoquant des Marocains non musulmans, juifs ou chrétiens, « venus d’ailleurs », ce qui laisse entendre qu’il n’existe pas de conversion domestique ni de lignage chrétien au sein de la société marocaine, le christianisme étant « importé ». Mais toujours est-il que, « venu d’ailleurs » il est là, et cela signifie qu’il faudra à l’avenir en tenir compte dans les textes juridiques et les habitudes sociales. Cela prendra le temps qu’il faudra, certainement long comme d’habitude, mais cela adviendra, un jour.

De fait, le christianisme au Maroc prospère et sans doute à une vitesse supérieure à celle que l’on peut imaginer. On évoque le chiffre de 30.000 à 40.000 personnes de confession chrétienne,


mais les informations fiables manquent à ce propos. L’activisme et le dynamisme de la communauté chrétienne marocaine doivent cependant être relevés ; les communications médiatiques, encore peu nombreuses, reviennent régulièrement, et une institution officielle, le CNDH, a reçu des représentants de cette communauté en 2017, créant ainsi la première passerelle institutionnelle entre une religion qui se cache et un organisme très officiel.

Le passage du message royal à la Conférence interparlementaire a ceci d’important qu’il ouvre la voie au parlement marocain, co-organisateur de l’événement, pour aller plus vite, plus haut, plus fort, et au gouvernement, pour légiférer en faveur des minorités, les recevoir, les faire connaître, dans le cadre d’une politique allant dans le sens du vivre-ensemble, de la paix et de la fraternité entre les différents cultes, ainsi que rappelé par le roi Mohammed VI dans le même message à la Conférence et, quelques années avant aussi, en présence du pape François à Rabat, en 2019.

Ainsi, il devrait dorénavant être permis aux chrétiens marocains, mais aussi aux Bahais et aux chiites de pratiquer leurs cultes en toute liberté, au vu et au su de tout le monde. Et pour permettre cela, il faut commencer par sensibiliser au vivre-ensemble et à l’acceptation de l’autre et de sa foi, puis criminaliser toute atteinte à l’exercice de leur culte par tous, et enfin permettre la pleine activité des écoles, églises, temples, tout en maintenant l’interdiction du prosélytisme, quel qu’il soit et dans quelque sens qu’il s’oriente. Tout cela devrait également passer, un jour ou l’autre, par l’évolution de la discipline scolaire « éducation islamique » vers l’ « éducation religieuse », ancrant encore plus le pays dans une universalité spirituelle indispensable à son ouverture sur le monde.

La religion est importante, l’islam encore plus, nul n’en doute, mais les libertés de cultes et les libertés individuelles aussi. Le Maroc devra bien, un jour, adopter des lois qui établissent la pleine citoyenneté et garantissent le plein exercice des droits par des lois de plus en plus séculières et de moins en moins fondées sur la religion, qui reste une affaire privée.

Il appartient donc au parlement marocain de remplir son office, même s’il est permis de très sérieusement en douter, au vu des profils et autres créatures qui le meublent, plus portées sur le dirham que sur le salut de l’âme…

Aziz Boucetta