(Billet 875) – Pétroliers… et maintenant, que va faire le Conseil de la concurrence ?

(Billet 875) – Pétroliers… et maintenant, que va faire le Conseil de la concurrence ?

Et finalement, les tant attendus décrets d’application de la loi sur le Conseil de la concurrence ont été promulgués et publiés au Bulletin Officiel. Cela semble anodin, des décrets d’applications parmi d’autres, mais cela ne l’est pas. Il s’agit en effet d’une étape importante dans la saga « dallassienne » du dossier des hydrocarbures, leurs prix et les éventuelles ententes entre les grands opérateurs. L’affaire a passionné, passionne et passionnera encore l’opinion publique nationale, et aussi, un cran en-dessous, les observateurs étrangers.

Une véritable saga, oui… Depuis 2015, année de la décompensation des produits pétroliers, enquêtes diverses, avis autorisés, soupçons généralisés, dénégations virulentes, nominations et révocation, changement de la loi sur le Conseil de la concurrence, longue attente des décrets d’application, suspense… entourent cette affaire où les compagnies de distribution de carburants sont suspectées de s’être entendues pour fixer les prix de leurs produits.

L’affaire est doublement importante car, en plus de l’éthique qui devait légitimement suivre la décision de la décompensation, elle touche aussi bien au pouvoir d’achat des citoyens qu’à la moralisation de la vie publique, du fait que l’opérateur principal implique un personnage de premier plan dans les gouvernements qui se sont succédés depuis 2015, et chef de l’actuel, en l’occurrence M. Aziz Akhannouch.

Il y eut d’abord une commission d’enquête parlementaire en 2017-18, puis le Conseil de la concurrence en 2020, puis encore le même Conseil en 2022. Sur les dizaines de pages produites, rien n’indique explicitement une entente mais rien n’établit clairement le contraire. Néanmoins, en juillet 2020, le Conseil de la concurrence indique dans une démarche confuse une sanction de 9% du CA des compagnies concernées, qui passe à 8%, ce qui laisse supposer qu’il y a eu entente. Une fébrilité elle-même sanctionnée par le chef de l’Etat qui nomme une commission d’enquête ad hoc, laquelle finit par déboucher sur un changement à la tête du Conseil et une refonte de la loi sur cette institution.

En 2022, ledit Conseil publie un avis dans lequel il dit qu’ « il est permis de conclure que la concurrence par les prix sur ces marchés (du gasoil et de l’essence) est quasi-inexistante, voire neutralisée », poursuivant que « les opérateurs ont préféré augmenter leurs marges au lieu de chercher à augmenter leurs parts de marché en opérant des baisses significatives de leurs prix de vente » . Puis plus rien… le président Rahhou, qui a remplacé Driss Guerraoui, proclame qu’il faut attendre la publication des décrets d’application pour « rouvrir » le dossier. C’est aujourd’hui chose faite, mais ce n’est pas la fin du suspense et de l’attente, car si le dossier devra bien être « rouvert », on n’en sait pas les modalités, sachant que la décision finale du Conseil est


en plus susceptible de recours devant les tribunaux.

L’affaire est donc économique (concurrence), juridique (éventuelle entente illégale), sociale (paupérisation du fait de l’impact des prix de l’énergie sur tous les autres prix) et éthique (moralisation de la vie publique). Donc éminemment politique. C’est pour cela qu’elle intéresse l’opinion publique qui se passionne pour tout rebondissement, et des rebondissements, il y en a eu et il y en aura encore à n’en point douter tant est importante l’insistance de l’opinion publique à connaître les faits et encore plus forte la résistance des concernés à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Les compagnies de distribution des produits pétroliers sont donc sur la sellette, et comme l’opérateur principal se trouve appartenir ou impliquer directement le chef du gouvernement Aziz Akhannouch, l’affaire pourra être reportée, ajournée, diluée, masquée, suspendue… mais elle ne trouvera son aboutissement et ne sera close que par une décision claire et explicite, dans quelque sens que cela soit.

Il est bien possible, au nom du bénéfice du doute, que le chef du gouvernement actuel, qui a démissionné de ses activités professionnelles au moment de son entrée au gouvernement en 2007 ne fut ni informé ni impliqué dans la très possible et même probable entente entre pétroliers. Mais alors qu’il le dise, qu’il s’exprime, qu’il se défende, qu'il manifeste de l'égard et du respect pour la population, et que les contrevenants, si contrevenants il y a, à savoir la compagnie qui fut (est ?) sienne et ses « concurrents » rendent aussi bien des comptes que l’argent qui aurait été indûment ponctionné dans la poche des consommateurs. Si le Conseil de la concurrence « rouvre » son enquête et conclut à l’immaculée blancheur et la totale innocence des opérateurs, il faudra qu’il explique alors aussi comment et pourquoi en 2020, il avait conclu à l’entente puisqu’il avait évoqué dans son courrier au chef de l’Etat des sanctions de 8 ou 9% du chiffre d’affaires des opérateurs concernés.

Cette affaire est donc d’autant plus importante qu’elle touche à l’intégrité des grandes entreprises et à l’exemplarité des dirigeants du pays. Et de cette intégrité établie, ou non, des uns et de l’exemplarité prouvée, ou pas, des autres relève la perception de la politique, et du pays, par les Marocains.

Depuis 1999, le Maroc a radicalement changé, en tous points de vue et en mieux. Il serait bien regrettable, voire néfaste, pour l’image d’ensemble du pays, ici et ailleurs, que certains comportements persistent ; si entente il y eut, les coupables devront rendre gorge, rendre compte et rendre l’argent (avec amende), et si innocence il y a, alors ils en sortiront grandis. Et le pays avec.

Aziz Boucetta