(Billet 873) – La Méditérranée, à droite toute !
Les élections de ce dimanche en Turquie et en Espagne confirment la lente mais sûre droitisation politique de la Méditerranée, venant clore une phase électorale qui aura touché à peu près tous les pays dynamiquement démocratiques de ce qu’on appelle le « continent Méditerranée ». A l’exception d’Israël, les scrutins concernent les pays de la rive nord, tous les pays. Et tous ces pays ont viré à droite, face à des régimes de plus en plus autoritaires sur la rive sud.
L’espace méditerranéen est particulièrement tourmenté ; cela ne remonte pas à hier, cela fait quelques millénaires qu’il en est ainsi. Toutes ces grandes civilisations et empires qui se sont succédé ont laissé des traces, mais surtout des sources de tension et de crispation. Aujourd’hui, la césure est nette entre le Nord, développé et renfermé, mais stressé – le « jardin », comme l’appelle Josep Borrell – et le Sud, arabo-amazigh en voie de développement mais en proie à des menaces de plus en plus nettes venant de son hinterland sahélo-saharien.
Avec la conflictualité en croissance en Afrique, aggravée par une crise climatique en réchauffement progressif et rapide, les populations sahéliennes ne trouvent d’autre alternative qu’une migration épaisse vers le nord, avec l’objectif de traverser la Mare Nostrum, vers un monde européen fantasmé. Sur les côtes méditerranéennes, les Etats sont en pleine tourmente, la Tunisie vacille encore une fois vers la dictature, la Libye n’en finit pas de suffoquer entre les factions rivales et l’Egypte d’étouffer sous la poigne de fer d’Abdelfattah al-Sissi. L’Algérie est une poudrière en devenir et en délire et le Maroc, certes en expansion économique, vit néanmoins une phase inédite faite de doutes politiques, avec une droite décomplexée voire sans complexe au gouvernement, et d’incertitudes hydriques ; seule la stabilité et la constance monarchiques le prémunissent contre un inconnu couleur sombre.
L’Europe, pour sa part, connaît une conséquente remise en question, avec ses équilibres bousculés entre la guerre sur son flanc nord et une crise économique qui n’en est qu’à ses débuts. L’Allemagne se réarme et les pays ci-devant de l’Est s’arriment de plus en plus à l’Amérique de Joe Biden, qui attise le feu et engrange les acquis.
Quant au versant oriental de la Méditerranée, nul ne peut prédire ce qui s’y produira dans les semaines ou mois à venir. Le Liban en faillite économique devra subir les conséquences du récent rapprochement entre Ryad et Téhéran et de la remise en selle de Bachar al-Assad, et Israël n’en finit pas de sombrer dans une crise sociale et politique, et même géopolitique au vu du glissement du centre de gravité du Moyen-Orient du conflit israélo-palestinien au Golfe persique, le nouveau gamer mondial.
Tout ces faits se reflètent dans les élections européennes qui voient des droites et des droites extrêmes accéder aux pouvoirs. En Suède, aux Pays-Bas, en
Finlande et ailleurs, plus loin dans le temps en Hongrie et en Pologne, les droites nationalistes et/ou identitaires gagnent les élections et se rapprochent de majorités absolues. Plus à l’est, le président sortant Recep Tayyib Erdogan réussit à se maintenir en selle à l’issue d’un scrutin très serré, mais qu’il a finalement remporté face à son rival de gauche.
L’Europe du Sud n’est pas en reste. Depuis les élections françaises qui ont vu une percée historique du Front national (pudiquement rebaptisé en Rassemblement), les Italiens ont été plus tranchés, plaçant à la tête de leur gouvernement un parti de droite extrême. En Grèce, la droite vient de remporter les législatives, écrasant le parti de l’ancien premier ministre de gauche Alexis Tsipras. Et même au Portugal, où la gauche a remporté le scrutin de 2022, les petites formations d’ultra-droite gagnent du terrain, mettant fin à l’exception portugaise.
Et voilà l’Espagne qui, à l’issue des élections municipales et régionales, sanctionne lourdement le Parti socialiste au pouvoir depuis 2019. Pedro Sanchez, au pouvoir depuis 2018, tire les leçons de cette poussée de la droite et du parti d’extrême-droite Vox et annonce la dissolution du parlement et des élections législatives anticipées pour fin juillet.
De quoi tout cela est-il le nom, ou le symbole ? Globalement de mouvements politiques se réclamant d’une forme d’autoritarisme fondé sur un discours populiste, et teinté de l’idéologie « nativiste », le terme récent pour désigner, poliment, la xénophobie rampante en Europe. Cela évoque l’intitulé de ce commissariat européen en 2019, « la protection du mode de vie européen » et l’image du jardin européen bordé de jungles, si chère au Haut-commissaire pour la politique extérieure Josep Borrell.
Nous aurons donc, des deux côtés de la Méditerranée, deux sortes de régimes qui se font face et qui se rejoignent dans l’autoritarisme et le populisme, qui se comprennent, passant au-dessus de leurs populations qui ne se parlent pas. Xénophobie et islamophobie d’un côté, anti-occidentalisme de l’autre. Sur le plan géopolitique, la Méditerranée est plus incertaine que jamais ; au Nord, une Europe en guerre contre la Russie, cette Russie que l’on retrouve sur son flanc sud, en Algérie et en Libye. A l’ouest, les Etats-Unis et leur allié Israël s’installent au Maroc et à l’est, la bascule moyen-orientale est porteuse de bien des incertitudes.
Face à tous ces périls et ces doutes sur un avenir tourmenté, un rapprochement entre les deux rives est aussi souhaité qu’utopique, malgré les différentes instances et autres « machins » créés depuis 20 ans. Ainsi est donc la Mare Nostrum, aussi troublée aujourd’hui que du temps des Grecs puis des Romains, des Phéniciens ou des Carthaginois, des chrétiens en croisades ou des musulmans en conquêtes, des Ottomans et de tous les intrus ultérieurs. Sauf que les technologies militaires et les armes économiques sont infiniment plus mortelles.
Aziz Boucetta