(Billet 857) – Quand la justice met de l’ordre dans un parlement qui fait désordre
Le pouvoir judiciaire malmène sévèrement le législatif, et de manière très symbolique. Dans les jours qui viennent se tiendra en effet une séance pour l’élection d’un 4ème président de la commission de la justice et de la législation de la Chambre des représentants, elle-même élue voici seulement un an et demi. Les trois premiers présidents avaient été soit invalidés, soit non réélus, soit interpelés. Cela donne une (triste) idée de l’instance législative de ce pays.
Personne ne se réjouit ou ne devrait se réjouir de l’arrestation d’un homme, mais on peut se satisfaire de voir la justice suivre son cours. Mohamed Moubdiî, ancien maire MP (Mouvement populaire) de Fqih Ben Salah et ancien ministre, a été interpelé à son domicile de Rabat ce mercredi puis présenté au procureur du roi pour divers délits pour lesquels il est accusé. Il a été placé sous mandat de dépôt. Cela ouvre sur plusieurs remarques.
Le premier député élu à la tête de ladite commission était Mohamed Laâraj, ancien ministre MP de la Culture. La Cour constitutionnelle avait invalidé son élection comme député pour cause d’irrégularités ; se représentant devant les électeurs, il n’a pas été réélu. Cela arrive… Exit, donc, Mohamed Laâraj. Il a été remplacé comme président de la commission de la Justice et de la Législation par son pair au sein du même parti Mohamed Fadili. L’élection de ce dernier a à son tour été invalidée pour plusieurs joyeusetés électorales comme corruption, intimidation, vote de personnes décédées ou se trouvant à l’étranger le jour de l’élection. Exit aussi, Mohamed Fadili.
Alors, le MP, aucunement désemparé et encore moins gêné, a poussé son ancien ministre et maire Mohamed Moubdiî à briguer la présidence de cette malheureuse commission de la Justice et de la Législation (et des droits de l’Homme). L’homme était déjà poursuivi pour des motifs comme dilapidation de fonds publics, violation des lois sur les marchés publics, abus de confiance et autres menus détails… Rattrapé par la justice et incarcéré, il vient de démissionner de sa présidence de la commission de … la justice ! Exit encore, Mohamed Moubdiî. C’est beau, c’est grand, il y en aura pour tout le monde.
Coïncidence amusante… lors de la précédente législature, c’était un autre conseiller, istiqlalien cette fois, Abdellatif Abdouh, qui était, lui, condamné en appel à 5 ans de prison pour, entre autres, corruption et dissipation de deniers publics, du temps où il officiait comme président de la commune Menara Guéliz à Marrakech. Il avait, lui aussi, servi à la Deuxième Chambre comme vice-président de la commission de … la Justice et de la Législation.
Saluons donc la justice qui ne se laisse
pas impressionner par les fonctions actuelles ou passées des prévenus, et souhaitons qu’à l’avenir, il n’y ait pas/plus d’exceptions, de dérogations, d’omissions... mais interrogeons-nous sur ces partis politiques qui investissent de tels personnages aux élections, pour représenter le peuple et la nation… interrogeons-nous également sur les instances parlementaires, et aussi les mêmes partis, qui acceptent que ces personnages puissent siéger en qualité d’élus d’abord, et dirigeants de commissions aussi sensibles que celle de la Justice. Et enfin, pourquoi ces créatures prisent-elles donc autant la présidence de la commission de la Justice ? Pour le prestige ? Sans doute. Pour l’impunité qu’ils pensent que cette présidence leur procurerait ? Sans aucun doute.
Jusqu’à récemment, le parti de l’Istiqlal adoubait son poulain M. Abdouh, ancien membre de son comité exécutif. Et le MP, avec MM. Fadili, Moubdii et Laârej, cautionnait les pratiques de ces gens-là. Qu’importe l’intégrité, pourvu qu’on ait l’ivresse du siège, pourrait-on dire pour résumer la logique de nos partis politiques.
Voici quelques mois, c’était le RNI qui avait suspendu son élu parlementaire Mohamed el Hidaoui pour l’affaire des billets du Qatar ; l’homme devait passer devant la commission de discipline du parti, et devait, et devait… Puis plus rien. Un de ses collègues au parlement est aussi dans l’œil du cyclone, mais on attend toujours les résultats de l’enquête de Ssi Lekjaâ… ça grésille de partout, mais la Fédération tient bon et ne lâche pas le morceau.
Les autres partis sont également concernés par ces turpitudes de leurs membres dirigeants, souvent élus parlementaires, très souvent élus locaux, parfois même ministres. Et cela ne devrait pas cesser dans le proche avenir tant que les élections impliquent des notables, seuls à même de remporter les suffrages et d’assurer une visibilité, voire un semblant de pouvoir pour leurs partis. Et tout cela ne renvoie pas une image très moderne, ou même flatteuse de nos législateurs.
Et c’est cela, c’est précisément cela qui ruine la politique dans ce pays. Les populations en ont une perception négative, à juste titre, et donc lui tournent le dos. Quelle est la solution alors ? Responsabiliser les instances dirigeantes des partis politiques sur leurs choix de candidats aux élections, puis surtout sur le choix des personnalités devant siéger dans les instances de direction, au parlement, dans les communes, dans les régions, dans les chambres professionnelles. Cela ne devrait pas être difficile, pour peu que la volonté politique soit là, mais cela serait singulièrement facilité si les partis étaient sanctionnés d’une façon ou d’une autre s’ils adoubaient des ripoux au parlement.
La balle est donc dans le camp de la justice, supposée être aveugle et même armée d’un glaive.
Aziz Boucetta