(Billet 856) – Le fellah était défenseur du trône… aujourd’hui, c’est l’inverse

(Billet 856) – Le fellah était défenseur du trône… aujourd’hui, c’est l’inverse

Le Maroc est l’un des pays les plus menacés par le stress hydrique, figurant selon le Word ressources institute dans le « Top 25 » des pays dangereusement exposés aux taux de stress les plus élevés. Cela emporte l’adhésion de tous. Mais ce qui reste discutable et discuté au sein de la société est la politique à déployer pour affronter cette situation, qui menace de se compliquer dans les décennies, voire même les années à venir.

Dans le classement des pays exportateurs de tomates, le Maroc s’est hissé de la 5ème place en 2021 à la 3ème un an après, dépassant l’Iran et l’Espagne. Il en va de même pour l’avocat, dont le Maroc était le 12ème exportateur en 2017-18, 9ème en 2022. Les tonnages doublent, triplent, quadruplent, les exportations explosent et les classements s’améliorent. La politique suivie est incontestablement une réussite et les chiffres sont là pour le démontrer, sauf peut-être pour les céréales, dont la production recule d’année en année, et sur lesquelles l’incertitude pèse d’année en année, aussi. Et, ce faisant, la population rurale s’appauvrit et migre vers les villes, ce qui pose et posera d’autres problèmes.

Il fut un temps où « le fellah (était) défenseur du trône ». Aujourd’hui, avec le programme Generation Green, c’est l’inverse qui se produit, le trône à la rescousse du fellah. Il faut juste les politiques publiques adéquates, de la concertation pour les concevoir, de la volonté pour les mettre en place et du souffle et les faire aboutir.

Alors, les agrumes, leur production pour exportation est-elle vraiment la voie à suivre, dans un pays qui connaît un stress hydrique de plus en plus marqué, où les sécheresses et le déficit de pluviométrie deviennent structurels ? Chacun y va de son avis et tous les avis se valent. Et c’est là où le constat dressé par le Haut-commissaire au Plan devient intéressant. Pour Ahmed Lahlimi, les conditions climatiques et les contraintes pluviométriques sont de nature à baisser la production agricole et il s’agit dès lors de repenser notre politique agricole, « l’agriculture doit faire sa révolution pour changer de système de production, aller vers une souveraineté alimentaire et produire pour ce que nous...

consommons en premier lieu », dit l’ancien ministre et économiste.

Est-il réellement sage de continuer à s’enorgueillir de battre des records d’exportation de produits agricoles alors que nous allons vers de sévères restrictions en eau ? Est-il sage de poursuivre la politique actuelle et de continuer de dépendre des autres pour notre alimentation ? Est-il opportun de n’avoir les yeux et les pensées rivés que sur l’exportation et les rentrées de devises, sachant que, comme le martèle le ministre Ryad Mezzour quand on lui pose la question – et même quand on ne la lui pose pas –, 87% de nos exportations sont des produits transformés et « qu’il suffit » dès lors d’augmenter les exportations de produits finis ou semi-finis pour compenser les exportations agricoles ? Ne devrait-on pas plutôt axer nos réflexions politiques, économiques et sociétales sur la profonde transformation de notre agriculture ?

La priorité doit donc aller vers la réalisation de notre souveraineté alimentaire, et cet objectif ultime est une demande royale formulée dans le premier discours du chef de l’Etat au nouveau parlement, en octobre 2021, une demande en tête des priorités nationales. Mais, pour autant, si la souveraineté alimentaire (entre autres souverainetés) est une stratégie royale, elle n’est ni ne doit être une politique publique gouvernementale, même adossée sur sa majorité parlementaire.

En effet, un gouvernement a un intérêt politique à court terme, et il peut advenir que ses membres également aient des intérêts économiques. En outre, réformer et repenser la politique agricole doit faire intervenir plusieurs départements ministériels et encore plus de secteurs économiques et de franges sociales. Quoi cultiver, quand, comment ? Doit-on fiscaliser certaines cultures, de combien, comment, et à partir de quand ? Comment fixer les populations rurales dans leurs régions et comment faire ? Quels régimes fonciers ? Quels financements, publics ou privés ?

Les experts de tous ces domaines expriment leurs opinions et ils ont tous raison, puisqu’ils sont experts... Le problème est qu’ils sont aussi, antagoniques les uns aux autres. Une réflexion nationale doit être lancée, impliquant tout le monde et pas seulement le gouvernement ou les parlementaires. Et le plus tôt sera le mieux, car la sécheresse, elle, est déjà là et le stress hydrique n’attend pas.

Aziz Boucetta