(Billet 845) – Hausse des prix, la rue s’ébroue et l’opposition rabroue
La démocratie a ceci de bon qu’elle permet aux peuples de s’exprimer et de choisir ceux qui les représenteront et les gouverneront durant une période donnée. Mais à l’inverse, le mauvais côté de la démocratie est que les peuples peuvent se tromper ou que les gouvernants, une fois au gouvernail, oublient leurs promesses ou s‘oublient tout court. On l’observe aujourd’hui en France ou en Israël, et on le voit aussi au Maroc.
Lorsqu’un peuple en vient donc à se tromper dans son choix électoral, ce qui peut advenir, il aura quand même et à terme toujours le dernier mot. Tout dépend de la manière : violente ou pacifique. La grogne commence en effet par des mouvements d’humeur, puis quand cela ne prend pas, par des manifestations et si ça ne fonctionne toujours pas, l’instabilité sociale s’installe.
Le Maroc est un pays dont l’un des atouts majeurs est la stabilité politique. Cette stabilité est due à la monarchie, fédératrice et au besoin mobilisatrice. Il serait bien regrettable que du fait d’un gouvernement incompétent, inconscient ou insouciant, la paix sociale en vienne à être perturbée et la colère exacerbée. Or, c’est précisément ce qui commence à apparaître, avec deux événements qui se produisent, et qui doivent être correctement lus.
1/ Le Front social marocain monte au créneau. Regroupant les mécontents de tous bords, un peu gauchistes, un peu plus syndicalistes, saupoudré d’adlistes, il réussit à drainer des centaines de gens dans les rues d’une soixantaine de villes du pays ; une poignée de manifestants ici, une ou deux dizaines là, au total cela fait quelques centaines. Le motif de l’ire du Front ? Initialement la cherté de la vie, comme élément mobilisateur, mais aussi, avec le temps, les manifestants rappellent le chômage, évoquent la carence en logements, constatent l’indigence du système de santé, contestent l’inconséquence de l’éducation, et reviennent même sur la hogra, la fameuse hogra qui énerve tant ! La métastase de la colère commence à prendre forme. Jusque-là, cette colère était exprimée par chacun dans son coin ; aujourd’hui, elle menace de s’étendre à tous les coins de rue, et plus difficile sera l’action du gouvernement, si action il y a.
Jusqu’à quel point peut-on demander à une population de supporter ses conditions de vie de plus en plus dures ? Et quelles sont les facteurs qui la conduiront à supporter ? Des problèmes
compréhensibles grâce à des explications intelligibles, une proximité avec le peuple et une intégrité au-dessus de tout soupçon. Ce sont ces éléments qui manquent aujourd’hui au pays. Et ce n’est pas parce que les manifestants font (encore) montre de civisme et de retenue qu’il faut négliger leurs demandes.
2/ La demande de constitution d’une commission parlementaire sur les éventuelles importations de pétrole russe et sa réexportation vers des pays appliquant l’embargo contre les produits russes suite à l’invasion de l’Ukraine. La politique d’équilibre du Maroc entre Occident et Russie est certes heureuse, et elle passe par le refus de boycotter les produits russes et de maintenir ses relations avec Moscou. Mais là encore, des soupçons s’installent…
Il est vrai que ce ne sont là, pour l’instant, que des soupçons, mais relayés par plusieurs médias internationaux et commentés par des think tanks spécialisés. Et comme on ne prête qu’aux riches et que les éventuels importateurs exportateurs sont riches, seule une commission d’enquête parlementaire établira la véracité des faits. Et on peut supposer que les trois partis (PPS, MP et PJD) à l’origine de cette initiative parlementaire détiennent des informations qui les conduisent à demander la constitution d’une telle commission. Et c'est de la réaction de la majorité et des instances parlementaires que la réalité des choses commencera à poindre.
Résumons, donc… une contestation sociale qui prend de l’ampleur et menace de prendre tout court… une action parlementaire qui, bien que minoritaire, dira des choses qui risquent de faire mal, et du mal… des médias, hormis quelques inconditionnels, qui s’interrogent et interrogent, sans recevoir de réponses… et face à tout cela, un gouvernement atone, les yeux rivés sur ses colonnes de chiffres, pétri de ses certitudes et aussi silencieux que les grands fonds.
Les Marocains ont, ces dernières années, supporté bien des situations inconfortables, voire périlleuses, comme le confinement, les arrêts ou pertes de travail, un appauvrissement sensible des classes moyennes, une sortie de crise qui tarde… mais tout cela avait été expliqué, commenté, débattu, et finalement accepté. Aujourd’hui, c’est l’indifférence qui irrite et conduit à ces mouvements et actions pour l’instant sporadiques et même anecdotiques mais qui, à terme, pourraient devenir problématiques.
Encore une fois, il est donc urgent de parler et d’agir pour éviter l’agitation, avant que les choses ne soient plus difficiles à gérer.
Aziz Boucetta