(Billet 844) – Mondial 2030, avantages certains, mais certaines obligations aussi
On en avait beaucoup parlé au moment de l’annonce en grande pompe, solennellement à l’assemblée générale de la FIFA, le 14 mars : le Maroc est, avec l’Espagne et le Portugal, candidat à la co-organisation de la Coupe du monde 2030… Cette fois-ci devrait être la bonne pour le Maroc mais, d’ores et déjà, et quelque que soit le résultat du vote des 211 membres de la FIFA, en 2024, le Maroc a déjà gagné, et beaucoup gagné. Mais il devra prendre conscience qu’il a aussi des obligations, de bonne gouvernance, entre autres.
Depuis cette date du 14 mars, les choses se sont un peu calmées, jusqu’à la récente double annonce de la CAF et de l’UEFA. Le comité exécutif de la confédération africaine a voté à l’unanimité son soutien à cette triple candidature et le président de l’Union européenne de football, réélu par acclamations, a exprimé à son tour son adhésion à un Mondial 2030 organisé par le Maroc, l’Espagne et le Portugal.
La candidature du Maroc est intervenue sur le tard car le duo ibérique devait s’associer à l’Ukraine, mais les turpitudes de la fédération de ce pays en guerre et les accusations de corruption contre son président avaient fait changer d’avis aux Ibères, qui se sont tournés vers le Maroc, lequel a déjà engrangé une bonne partie des bénéfices de cette candidature.
1/ Aux yeux de l’Europe, de l’Afrique et du monde, l’association de l’image du Maroc avec l’Espagne et le Portugal conforte encore plus le pays dans ses ambitions de s’imposer parmi, ou avec, de grands pays pour de grands projets. Cela conforte la crédibilité du royaume, essentiellement à l’extérieur du monde du football.
2/ Avec cette candidature que le roi Mohammed VI avait présentée comme étant celle de l’Afrique, le Maroc affermit davantage sa position de « hub africain », un slogan répété depuis des années mais qui aujourd’hui prend tout son sens. Espagne et Portugal pourront à leur tour se présenter comme portes d’entrée de l’Europe vers l’Afrique, et plus seulement sur le plan exclusivement géographique.
3/ Une coupe du monde organisée par deux pays ou plus, ce sont des raccords de réseaux, routiers, ferroviaires, numériques… Il est naturel que les travaux qui seront entrepris dans les trois pays soient menés par des entreprises de ces mêmes pays, et cela renforcera encore plus la présence espagnole au Maroc et éloignera plus encore, concrètement, le Maroc de la France qui, traditionnellement, avec ses entreprises, avait une position préférentielle sur nos terres.
4/ Ces raccords d’infrastructures ne serviront pas uniquement au football, même si le Mondial est attribué à ces trois pays. En plus d’être économique, le rapprochement sera humain et le réseau constitué sur la route, le rail et l’aérien profitera
au tourisme national.
5/ En termes de sécurité collective, la coopération déjà solide entre le Maroc et l’Espagne sera consolidée et la mise en réseau des services de sécurité bénéficiera à un autre rapprochement, plus global, celui du Maroc avec un continent européen organisé « en jardin, craignant les assauts de la jungle alentour », pour reprendre les propos fort élégants de Josep Borrell, représentant de l’UE aux relations extérieures.
6/ L’effet Qatar sur l’image du Maroc sera prolongé, confirmé, conforté et renforcé par le retour du royaume sur la scène mondiale du football, sous l’angle de l’organisation et de la fiabilité cette fois.
7/ En matière géopolitique, cette candidature ancre encore plus qu’il ne l’est le Maroc dans la famille de l’OTAN et, en ces temps de changements d’alliances, un rapprochement plus solide est souhaité avec les Etats-Unis désireux de bien s’implanter aussi bien à l’ouest de la Méditerranée que des deux côtés du Détroit de Gibraltar.
Tous ces éléments, et d’autres encore alors que la compétition pour l’organisation n’a pas encore commencé, auront des effets sur l’attractivité du Maroc à l’international. Touristes, investisseurs, sportifs connaîtront mieux le pays et s’y intéresseront plus.
Mais cela implique des contraintes. La notoriété, c’est bien, mais il faut l’entretenir et surtout la protéger.
Quand les choses commenceront, le Maroc devra faire preuve d’irréprochabilité dans son fonctionnement institutionnel global. Observons en effet comment l’Ukraine, à laquelle on passe pourtant tout en ce moment, a été promptement évacuée de la candidature ibère…
La justice devra être exemplaire, ou presque ; condamner, par exemple, trois violeurs d’une fillette à 2 ans de prison n’est pas de l’exemplarité. Le monde du football devra être un modèle, mais tarder autant et tout ce temps et même enterrer une affaire comme celle des billets du Qatar n’est pas spécialement un modèle de bonne gouvernance. Et, en parlant de gouvernance, la fiabilité devra être au rendez-vous mais avoir un gouvernement fantôme, hors sol, indifférent, prêtant le flanc et même quelque peu méprisant n’est pas spécialement fiable. La corruption, officiellement combattue mais réellement en constante progression, devra être plus sérieusement considérée... Globalement, népotisme, clientélisme, favoritisme et bak-sahbisme devront reculer (il est impossible de les éliminer).
En outre, une irréprochabilité dans la gouvernance est un élément incontournable et indispensable pour l’adhésion populaire, une adhésion sans laquelle aucun évènement, grand ou petit, ne saurait être mené avec de raisonnables chances de succès.
Aussi, vouloir jouer dans la cour des grands est une heureuse idée et une louable ambition, mais le Maroc a-t-il bien réfléchi à toutes ces contraintes auxquelles il devra répondre ?... étant entendu qu’être sous le feux de la rampe interdit les errances et autres errements que nous connaissons et auxquels nous nous sommes accommodés dans ce pays.
Aziz Boucetta