(Billet 1073) – Senior Akhannouch !
Il est des petites phrases qui en disent bien plus que les discours les plus longs. Il existe des remarques qui auraient mérité ne jamais être proférées. Et l’art de ces deux types d’expression, les petites phrases et les remarques, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch est passé maître. Est-ce par méconnaissance de la chose politique, ce dont tout le monde convient en ce qui le concerne ? Est-ce par mépris, un caractère qui ne lui est pourtant pas connu ? Mais les faits sont là, et ils sont têtus.
En 2019, en pleine préparation électorale, M. Akhannouch, porté par son enthousiasme et emporté par la joie de voir des gens devant lui, en Italie, l’alors simple ministre voué à un si brillant destin avait dit d’une catégorie de Marocains qu’ « il faut refaire leur éducation ». Tollé général dans les chaumières, les réseaux s’enflammèrent et les esprits s’échauffèrent. Mais il faut croire que les gens sont peu rancuniers car aux élections générales tenues plusieurs mois après, le RNI de M. Akhannouch avait été triomphalement élu 1er parti du royaume.
Une fois installé à la présidence du gouvernement, Aziz Akhannouch s’est enfermé dans un profond mutisme, ulcéré semble-t-il par sa première prestation télévisée, qui s’était révélée désastreuse. Cet homme ne sait de toute évidence pas parler, mais il sait se taire. Puis, contraint et forcé par la loi, il s’est exprimé à la tribune du parlement, et à chaque fois, il a montré une forme de mépris, toujours égale, à l’égard de deux groupes, l’opposition et les anciennes majorités (dans lesquelles lui-même et son parti ont tenu de grandes responsabilités).
M. Akhannouch n’a pas « refait » l’éducation de certains Marocains, pas plus qu’il n’a fait la sienne en politique. Pour ce capitaine d’industrie venu un peu par hasard et beaucoup par amitié au gouvernement, la politique est une chose très simple : verticale, elle contraint d’obéir à plus haut et, sans doute pour compenser, de mépriser le plus bas. Et c’est tout. Et il vient de le reconfirmer, de la manière la plus éclatante qui soit.
Cette semaine, présidant le conseil de la ville d’Agadir (image), M. le « maire » Akhannouch dévoile sa profonde méconnaissance de la logique politique et de l’esprit démocratique. Interpellé par une jeune élue USFP (membre de sa majorité à Agadir) sur les affectations de ressources et sur les besoins des habitants, Raja Messou (image de droite), qui glisse en outre quelques mots sur le chômage et l’indice de pauvreté qui a augmenté dans le pays, le multiple Président (du gouvernement, d’Agadir, du RNI, …) répond en substance que « le conseil de la Ville n’est pas le lieu adéquat pour faire de la politique, que la politique a son espace connu et que nous en parlons, de politique, avec les Seniors ». En gros, toi la gamine, ta g… !
En politique, M. Akhannouch se prend pour le Senior qu’il n’est pas et qu’il ne sera jamais. Comme l’écrit le confrère et ami Hicham Rouzzak, « pour être sénior, il faut au
préalable avoir été poussin, puis minime, cadet et junior. Toi, mon ami, tu ne joues que parce que tu es le pote de ceux qui possèdent le ballon et que tu as de quoi louer le terrain de jeu ». Tout est dit, la parabole est belle et surtout juste.
Lui, M. Akhannouch, est tournesol, qui cherche toujours le soleil pour vivre. Mais il oublie qu’il faut aussi un fondement, une base, de racines, sans lesquelles le tournesol ne vivrait pas non plus. Et c’est le mérite de notre constitution, un chef de gouvernement doit être certes ensoleillé, mais aussi irrigué. Aziz Akhannouch non… Mais peut-être est-il méprisant à l’insu de son propre gré, puisqu’il attaque aussi, lors de la même séance à Agadir, les anciens gouvernements dont lui et son parti étaient membres importants : « Nous avons fait en trois ans ce que n’ont pas fait les gouvernements en 30 ans »… ajoutant, parlant de lui et de son RNI, « Nous on dit sociaux-démocrates ». Combien de livres lus, de débats engagés, de discours enflammés, d’écrits publiés sur la « socio-démocratie », Ssi Akhannouch ?...
En répondant, en persiflant en direction de Mme Messou, le chef du gouvernement étale au grand jour son immense mépris pour les jeunes et les territoires. Pour lui, les jeunes ne sont bons qu’à se taire et la politique n’a pas droit de cité sur et dans les territoires. On comprend mieux maintenant pourquoi il a tenu à se faire élire maire d’une grande ville alors qu’il est chef de gouvernement ; ne pas avoir le temps de gérer la ville est secondaire pour lui, le principal est qu’il détienne la fonction. Et on peut s’inquiéter du sort de la régionalisation avec un tel responsable politique. Dieu merci, le programme de la régionalisation est porté par le roi…
La Jeunesse du RNI appréciera certainement, si tant est qu’il y en ait vraiment une… il ne s’agit pas d’organiser des agapes bruyantes et dansantes de 4.000 jeunes pour appeler cela une Jeunesse. D’ailleurs, Mme Messou le lui a bien rappelé, qui lui a dit que des partis comme l’USFP (en l’occurrence l’Istiqlal, le PPS et le PJD) forment leurs jeunes à être « seniors » dès leurs premiers pas au sein de leurs Jeunesses.
M. Akhannouch porte de plus en plus préjudice à (entre autres) la politique dans ce pays, qui en a besoin. Ce pays a en effet besoin de jeunes instruits et actifs, de moins jeunes expérimentés et aguerris, de militants engagés… et surtout d’une population en confiance. Avec lui, avec ce genre de sorties fielleuses et méprisantes, il éloigne tout le monde de la politique. Quant aux Seniors-à-qui-il-s’adresse, on peut raisonnablement penser qu’ils ne lui parlent politique que parce qu’ils y sont bien obligés (rapporté de plusieurs conversations de l’auteur avec des « seniors politiques »).
En cas de désaffection aux prochaines élections, malgré tous les « atouts » qu’il y mettra, l’actuel chef de gouvernement (auquel on prête l’ambition de rester) en portera l’entière responsabilité. Le pire est qu’il ne le comprend même pas.
Aziz Boucetta