(Billet 1080) – Unanimité des organes de gouvernance contre… la gouvernance Akhannouch
On le dit imminent et, à défaut d’être éminent, il est effectivement imminent. Lui, c’est le remaniement gouvernemental, ou plutôt ministériel. On en parle depuis un an déjà, et à force d’en parler et de lire ou entendre des noms circuler depuis si longtemps, franchement, on en a assez. Surtout qu’on peut déjà prédire le commentaire principal au lendemain de ce très évanescent remaniement : « Tout ça pour ça ?! ».
C’est tout de même effarant de prendre connaissance des commentaires de tant d’analystes et d’observateurs qui disent la même chose. Cela doit être la première fois que le scepticisme est aussi grand, plus grand que doit l’être l’attente du changement d’une équipe supposément dirigeante ! Il doit bien y avoir une raison… et la raison principale est que le RNI, parti conduisant la majorité actuelle, n’a jamais été conçu pour diriger un gouvernement. Alors maintenant qu’il le dirige, les couacs se multiplient au sein de l’équipe gouvernementale, la colère monte de la rue, le doute assaillit les observateurs. Résultat : l’indifférence résignée et passablement énervée gagne une partie considérable des Marocains.
Nous allons donc – enfin ! – avoir le remaniement de ce gouvernement, alors même qu’une démission collective ou une mention de censure auraient été bien plus adéquates. Pourquoi ? Parce qu’après trois ans d’ « exercice du pouvoir », la mauvaise gouvernance de cette équipe et surtout de son chef est établie. Par qui ? Par les organismes chargés du contrôle de la bonne gouvernance et d‘autres institutions constitutionnelles. Florilège.
1/ Le Conseil de la concurrence s’était attelé en 2020 à la question des hydrocarbures et des ententes entre compagnies de distribution d’hydrocarbures. Rappelons utilement que la première (et de loin) en termes de parts de marché appartient au chef du gouvernement qui, officiellement, ne la dirige certes plus, mais il reste toujours des émanations… Cette affaire avait coûté son poste à l’ancien patron de l’instance Driss Guerraoui, et son successeur Ahmed Rahhou marche a pas feutrés, sur la pointe des pieds, avec une bien compréhensible prudence de Sioux. Cela a donné une condamnation du cartel des distributeurs, dont l’entreprise du chef Akhannouch.
2/ Le CESE avait cru utile en avril dernier de publier son rapport sur les NEETs, vous savez les jeunes désespérés de ne rien faire dans la vie ni de rien en attendre… Résultat : Haro sur le CESE, clairement quoique allusivement accusé par Aziz Akhannouch de saisir le moment de la présentation du bilan de mi-mandat du gouvernement pour sortir le rapport. Et M. Akhannouch d’égrener ses millions et ses milliards… Quelques temps après, M. Chami est nommé… ailleurs.
3/ Le HCP, en février dernier, avait publié des chiffres du chômage. Des chiffres alarmants qui ont semble-t-il troublé, profondément troublé le chef du gouvernement. Alors il réagit à sa manière, il mit
ou plutôt fit mettre en doute ces chiffres, dressant un parallèle entre des chiffres de la CNSS et ceux du HCP. La contre-attaque est, très courageusement, anonyme mais Ahmed Lahlimi s’en va et est remplacé par Chakib Benmoussa.
4/ L’Instance de (entre autres) lutte contre la corruption a épinglé le manque de réactivité du gouvernement face à un phénomène qui mine et grève le développement du pays, et même sa cohésion sociale. La réponse est venue du porte-parole du gouvernement et homme-lige de son chef, Mustapha Baitas, et elle est acerbe, questionnant la mission et l’action de l’Instance et donc, en filigrane, de son chef. Bachir Rachdi partira-t-il ? On le donne remanié lui aussi.
5/ Bank al-Maghrib, par la voix de son wali, l’inégalable Abdellatif Jouahri, décortique l’économie, critique l’action politique et pratique une politique anti-inflationniste. On se rappelle des frictions lors de la crise Covid, des tensions sur le taux d’intérêt et de l’arbitrage royal dont avaient parlé les médias cette année, toujours sur la question du niveau de ce taux. M. Jouahri est bien plus au fait des détails monétaires que M. Akhannouch, mais on dit M. Jouahri partant…
Il reste le Conseil de la communauté marocaine à l’étranger, qui rase les murs en attendant les mesures réclamées par le roi Mohammed VI et qui tardent toujours à venir du gouvernement. Il reste aussi le Médiateur, engagé dans le bras de fer contre les étudiants en médecine et qui n’a pas pu faire aboutir sa médiation, pour cause d’exacerbation des tensions avec le gouvernement et en raison des égos des uns et des autres. Il reste enfin l’Autorité chargée de la parité et de la lutte contre toutes formes de discrimination, pas encore mise en place même si l’infortunée constitution l’avait instituée en… 2011 !
Au final, nous avons un gouvernement dont la gouvernance mérite d’être questionnée, interrogée… Les organes et organismes chargés de cela critiquent cette gouvernance, chacun dans son domaine, mais ils s’attirent les foudres du chef du gouvernement ou de ses créatures (politiques s’entend…), et leurs patrons tombent. Et donc, avec des organismes de contrôle de la gouvernance ignorés, une opposition émiettée, dispersée et déboussolée, qui contrôle ce gouvernement (hors ministres régaliens qui savent ce qu’ils font et avec qui ils le font) ? La question est posée et restera ouverte…
Alors, en toute rationalité, à quoi servirait le remaniement en gestation à l’écriture de ces lignes, peut-être déjà effectué à leur lecture ? A éloigner celles et ceux qui ont eu leur phase de gloire, à en appeler d’autres dont c’est le tour, à contenter les amis, à régler quelques comptes, à ajuster des équilibres partisans et autres menus objectifs. « Tout ça pour ça, donc ! »...
Quant au peuple, et bien il attendra, il a l’habitude !
Aziz Boucetta