(Billet 1084) – Le Président et nous... il est venu, il a vu, mais a-t-il convaincu ?

(Billet 1084) – Le Président et nous... il est venu, il a vu, mais a-t-il convaincu ?

Le président de la République française aura donc eu son voyage au Maroc, sa visite d’Etat. Il en avait parlé, il l’avait tellement attendu, cet instant (et bien des Marocains avec lui), que ça y est, il est en boîte. Et quel voyage, quelle visite d’Etat ! M. Macron est venu, il a vu, mais a-t-il convaincu ?

Le Président a eu droit à un accueil d’Etat exactement à la mesure de ce que les Marocains voulaient faire de sa visite d’Etat. Et il faut bien avouer que de mémoire de Marocain, cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu cela. En outre, cet accueil effectué dans toutes les règles de l’art de recevoir quand on est une grande et très vieille monarchie a été rehaussé par la présence du Roi au pied de la passerelle de l’avion présidentiel, visiblement fatigué, s’appuyant sur une canne (les médias ont parlé d’une crise sciatique), mais soucieux de remplir son devoir jusqu’au bout.

Malgré cela, le souverain ne s’est ménagé aucun effort, qui aurait très largement été accepté pour raisons de santé. Mais non, à l’inverse, la longue marche sur le tapis rouge et l’interminable procession des « bonjour ! » mutuels, chaque chef d’Etat saluant ceux qui accompagnent l’autre. Et alors même que, plus tard, l’imposant cortège se dirigeait à faible allure, dignement, vers le palais, voilà que le Roi le fait soudain stopper, puis invite son invité à quitter la voiture pour lui offrir un de ces bains de foule spontanés et très chaleureux qui font toujours plaisir. Et de plaisir, le président Macron en a copieusement eu ce moment-là ; on le voyait rire, serrer des mains, envoyer des bisous, revenir vers la foule, on le voyait heureux. Et nous étions heureux pour lui.

Puis, le cortège étant entré dans l’enceinte du palais, c’est la Garde royale qui prend le relais, avec fanions et hallebardes, et tout l’apparat qui suit ravit le Président. Visiblement. Et la suite est à l’avenant… l’accueil d’Etat déroulait son cérémonial, encore et encore, chargé d’histoire du pays et souligné par la considération témoignée à l’invité de Sa Majesté. Sa Majesté, entouré de sa famille, bienveillant, prévenant, royal.

Le lendemain, rencontre du président avec les hauts dignitaires, puis discours devant les deux Chambres du parlement réunies pour l’occasion. Affirmer dans cette enceinte que « le 7 octobre 2023 a constitué une attaque d'une barbarie particulièrement atroce, perpétrée par le Hamas contre Israël et son peuple. Israël a le droit de défendre son peuple contre une telle menace », et ne susciter aucune réaction de l’assistance était la marque de la considération pour l’hôte et de la tradition de l’hospitalité. Mais, à l’inverse, quand le président a réitéré les mots qu’il avait employés le 30 juillet dans sa lettre au roi : « Pour la France, le présent et l’avenir de ce territoire s’inscrivent dans le cadre de la souveraineté marocaine », c’était la standing ovation. Ceci ‘excuse’ cela, et les Marocains ont bien compris que M. Macron faisait, aussi, de la politique intérieure et internationale… Au Maroc, devant les députés de la nation, et à travers eux l’ensemble des Marocains, il a reconnu la marocanité du Sahara. Cela justifie son petit ‘pas de côté’ sur le Hamas et Israël…

Puis l’inauguration du grand théâtre de Rabat en présence de Mme Brigitte Macron, et ensuite le dîner d’Etat. Du faste, du grand apparat, l’histoire qui s’invite et se rappelle au souvenir des présents. Rien à dire, la France et le Maroc se sont réconciliés, avec éclat, somptueusement. A la mesure de ce qui avait commencé par une incompréhension, pour glisser en brouille, jusqu’à devenir une crise, qui s’est approfondie, encore et encore.

Est-elle dissipée, aujourd’hui, cette crise qui a


créé une véritable rupture entre l’avant et l’après ? Le Maroc a déployé ce qu’il devait et conclu ce qu’il pouvait et la France a prononcé les mots attendus et plus encore. Mais une grande dispute, aussi profonde que celle qui a éloigné ces deux pays plusieurs années durant, ne saurait connaitre une issue heureuse et durable si elle ne s’en donne pas le temps. Le temps, le cours des choses, la pratique quotidienne et les comportements qui vont avec monteront le sens de cette réconciliation.

Autrement dit, après les paroles, les actes. Et avant les actes, l’état d’esprit. En France, on persiste à réduire une grande partie des commentaires sur cette visite à cette angoissante question : « Le président et sa suite réussiront-ils à fourguer au Maroc les OQTF ? », puis, l’angoisse montant crescendo : « ont-ils réussi ? ». Le Maroc, c’est un tout, avec ses X et ses OQTF, dans un QHS, au PSG ou à la BNP, et ses plus qu’un million et demi de ressortissants (binationaux ou non) travaillent en France et contribuent à la grandeur, autant que les mille entreprises françaises installées au Maroc participent à la richesse du royaume.

Mais il y a la manière, disait Jacques Brel… et le mindset, ajouterions-nous. Et c’est de cela que M. Macron, dans son voyage marocain, était supposé avoir convaincu. A-t-il convaincu ? Et cette question est, oui, importante, au regard des relations que nous entretenons avec son pays. A-t-il convaincu ? … c’est encore une fois l’avenir qui apportera sa réponse car, dans l’intervalle de ces dix dernières années, les Marocains se sont détournés de la France, de sa langue, de sa culture, de son tourisme, de ses études, de bien des choses. Dans l’intervalle de ces années, d’autres opportunités se sont présentées et ouvertes pour ces mêmes Marocains, l’Amérique du Nord, l’Asie extrême ou moyen orientale ou, tout simplement, le Maroc.

Bien que l’image du Maroc en France ait singulièrement évolué, et malgré les grandes envolées et les petites attentions, le royaume est semble-t-il toujours réduit dans l’esprit de la majorité des Français à la migration et la sécurité, et le visa est là pour lui tordre le bras au besoin. Tant que cela ne changera pas, rien ne changera.

Le président français est donc venu, il a vu, il a été aussi vu… nous attendrons pour savoir s’il a convaincu. Les sources de différend ont, elles, bel et bien été vaincues ; il reste, encore une fois, l’épreuve du temps et les preuves dans le comportement. C’est pour cela que, outre les accords et partenariats signés, il y eut nombre de déclarations d’intention, qui attendront donc pour dépasser le stade de l’ ‘intention’ et aller résolument vers la concrétisation, l’exécution… C’est pour cela aussi que les Marocains, malgré les promesses et les trémolos, attendront de voir si leur mobilité est vraiment, véritablement, favorisée… car, sitôt de retour en France, la politique intérieure, faite d’OQTF et d’angoisses nombreuses et diverses, reprendra ses droits, et les engagements et autres louables intentions seront escamotés.

M. Macron est donc venu et, comme cela a été promis, son accueil royal, institutionnel, économique et populaire a été au niveau requis. Mais, pour autant, le président français est un adepte de la realpolitik et s’il a fait le geste qui lui était demandé, c’est par réalisme politique, au nom de la raison d’Etat. Il nous faut donc rester lucides, ne pas sombrer dans l’émotivité affective soulignée par le nombre de selfies récoltés ici et là… et attendre la confirmation de cette réconciliation. L'Etat marocain semble avoir compris la chose, les Marocains le devraient aussi.

Cette réconciliation devra déboucher sur une relation d’une autre nature, ou ne sera pas.

Aziz Boucetta