(Billet 1083) – Le Roi
Pour ses trois dernières activités publiques, le roi Mohammed VI est paru fatigué. Mais il s’est acquitté de ses devoirs avec l’énergie, la force et la présence nécessaires. Avec le président français Emmanuel Macron, il s’appuyait sur une canne, et malgré cette fatigue qui requiert une canne, il a tenu à dérouler le cérémonial, le rituel et tout le protocole requis pour la visite d’Etat d’un hôte de marque. La communion véritable entre les Marocains et leur monarchie s’est encore affirmée ce lundi.
Et de quelle manière ! Il n’est qu’à voir les réseaux sociaux pour relever que bien plus que pour les nouveaux ministres nommés la semaine dernière, c’est la santé du souverain qui a marqué les esprits, retenu les regards et suscité une extraordinaire empathie. La même chose s’est produite hier quand le roi Mohammed VI, en dépit de sa canne et de sa fatigue, a tenu à réserver à M. macron toute l’attention et le prestige que sa visite requiert.
Depuis la fin des années 2000, le Roi partage ses informations de santé avec les Marocains. Des communiqués qui expliquent et disent la vérité, même quand elle peut être inquiétante, même quand il s’agit de pathologies cardiaques. Et depuis toujours, le souverain ne rate aucune activité publique s’il est fatigué ou souffrant, ou alors il le fait savoir.
Le roi Mohammed VI est en effet davantage qu’un chef d’Etat parmi les autres, et au Maroc, il est bien qu’un chef d’Etat tout court. Dans une nation vielle de plusieurs siècles et pour une dynastie ancienne de quatre cents ans, il incarne le Maroc, les Marocains et la ‘’tamgharbiyte’’. Actif et réactif, il a su s’imposer comme le ‘’père de la nation’’, le personnage qui défend les intérêts du royaume avec tact et finesse, parfois avec fermeté et même brutalité. Répondre avec promptitude et profondeur le 9 mars 2011 au mouvement de contestation naissant… Annuler l’exercice militaire conjoint African Lion quand Barack Obama avait voulu inclure le contrôle des droits de l’Homme dans les attributions de la Minurso, en 2013… Décréter le prisme diplomatique marocain en faisant fi des rapports de puissance prévalant dans le monde… faire répondre que les relations ne sont ni bonnes ni amicales au président Macron qui affirmait le contraire… Agir dans le silence et l’acte, et non dans le tumulte et le vacarme. Agir en usant du temps et
non en le subissant.
Autant d’actes de pouvoir et de devoir dans lesquels se reconnaissent les Marocains.
Les Marocains, oui, savent que bien des choses restent à faire dans leur pays, mais les moins de 30 ans ne peuvent pas savoir ce qui a été fait durant ces 25 dernières années. Il reste encore du travail à abattre mais le monde ne s’est pas fait en un jour, pas plus que le Maroc ne pourrait se faire dans la même période. Dans l’intervalle, le roi reste le dernier rempart contre toutes formes d’abus ou de négligences (dans la limite de ses pouvoirs), et il demeure également cette icône qui défend le pays mais que le pays défend aussi quand il lui arrive d’être attaqué ou ciblé de l’extérieur. On se souvient tous de cette réaction massive des Marocains quand il avait fallu ignorer l’Espagne qui recevait Brahim Ghali, et on se souvient tous également de cette puissante levée de boucliers à la suite de l’adresse aussi directe que maladroite de M. Macron aux Marocains après le séisme de septembre 2023 dans la région d’al Haouz.
Aujourd’hui qu’il est souffrant et qu’il le montre, le roi sait pouvoir compter sur l’empathie, l’affection et la compassion de ses sujets qui savent qu’il est l’incarnation et la garantie de la cohésion nationale. Pas uniquement parce qu’il est Mohammed VI, le roi légitime, héritier d’une longue lignée, mais aussi et surtout parce qu’il est lui-même, Mohammed Ben Hassan Alaoui, l’homme empathique et généreux, le dirigeant proche de son peuple, proche et à son écoute.
Pour comprendre le statut du roi du Maroc, il serait intéressant de revenir au livre de Mohamed Tozy et Béatrice Hibou « Tisser le temps politique au Maroc : Imaginaire de l’Etat à l’âge néo-libéral ». Les auteurs y expliquent comment, pourquoi et avec quelles conséquences se tisse le temps long dans le royaume, ancien Empire chérifien, entre nécessités impériales de contrôle territorial et de symbolisme et contraintes d’un Etat moderne régulateur et régulé, normatif, moderne.
Ce temps long et ce qu’il implique comme profondeur sociologique et politique est la chose la moins comprise à l’extérieur du royaume, pour ceux qui essaient de cerner l’âme marocaine, et son attachement à ses institutions et à sa monarchie. Un attachement qui paraît irrationnel à un étranger, mais qui est simplement naturel et naturellement atavique chez un Marocain.
Aziz Boucetta