(Billet 1069) – Le bras de fer avec les étudiants en médecine n’est pas la bonne thérapie

(Billet 1069) – Le bras de fer avec les étudiants en médecine n’est pas la bonne thérapie

Rien ne va plus semble-t-il entre gouvernement et étudiants en médecine. Rien n’ira plus entre le gouvernement et les étudiants tout court ; cette semaine, l’Union nationale des étudiants du Maroc a décidé une journée sans cours. Cette crise entre dans son 10ème mois et les choses ne s’acheminent pas vers une solution. Le problème est que dans un pays où le système de santé est fragile, par manque de médecins, la crise des étudiants en médecine dépasse le seuil de la crise sociale, pour devenir existentielle.

Au commencement, comme toujours, il y a la réforme. Le ministère de l’Enseignement supérieur avait pris une série de mesures pour changer le cursus des études médicales. Conditions financières, environnement de travail, durée d’études, tout y était passé ; et comme toujours, ce que fait quelqu’un enfermé dans un bureau, quelle que soit sa compétence, ne sied pas forcément à une masse de personnes sur le terrain. Or, la masse de personnes, ce sont les étudiants en médecine, une classe particulière. Pourquoi particulière ? Pour plusieurs raisons : des études longues et difficiles, un métier de prestige, une catégorie de jeunes qui refusent ce qu’ils considèrent comme une orientation mercantiliste du gouvernement, ce que certains étudiants nomment « l’akditalisation » de la médecine, du nom de ce groupe privé qui monte, monte, monte… Un conflit social naissait, il est aujourd’hui là. Le gouvernement a ses calculs, les étudiants les leurs ; le gouvernement est inconscient de sa faiblesse, les étudiants sont conscients de leur force.

Dix mois après, c’est l’année blanche. Le ministère montre les crocs, mais se casse les dents. Abdellatif Miraoui, le ministre, paraît comme plongé dans des sables mouvants : à chaque mouvement qu’il entreprend, il s’enfonce davantage. Comment sort-on d’un bac de sables mouvants ? En se faisant aider, par exemple, par ses pairs du gouvernement. Qui ? Le ministre de la Santé, ou même mieux, le chef du gouvernement.

Le ministre de la Santé, Khalid Aït Taleb, s’était impliqué au début de la crise mais depuis, il s’occupe de ses CHU-les-plus-grands-d’Afrique. Il leur faudra beaucoup de médecins mais bon… Il s’occupe aussi de son grand chantier de protection sociale et de couverture médicale ; là aussi, il faudra des médecins mais bon… Il y a aussi, peut-être, le chef du gouvernement Aziz Akhannouch qui a brillé par son absence, avec quelques petites apparitions de ci de là.

Et pourtant, c’est bien le gouvernement qui a demandé aux forces de l’ordre d’intervenir en fin de semaine dernière contre une manifestation de nos jeunes médecins en formation. Grosse erreur. Quand on demande à la police d’intervenir, la police utilise ses protocoles d’intervention : sommations, puis


charge, avec toujours les risques de dérapage ou de gestes déplacés. En face, des étudiants épuisés par leur charge de travail et tétanisés par leur manque de perspective, donc en colère. Ce qui devait arriver arriva, la police fait son travail, le geste déplacé est commis, filmé, partagé, les esprits s’enflamment, la manif s’embrase, des arrestations. « Des médecins internes résidents en habit de bloc entrant au commissariat », s’indigne un jeune médecin de la place, outré par l’image, profondément blessé. A juste titre.

Et maintenant ? Et bien maintenant, tout peut arriver. Et surtout, il faut le dire, ce manque de confiance des étudiants en leur gouvernement, en leur Etat. Les choses en sont là. Le secteur médical est en crise, et il s’ajoute à tous les autres secteurs en crise de nerfs.

Avons-nous un chef de gouvernement pour mener la barque ou un chef de gouvernement qui veut mener tout le monde en bateau ? C’est la question. M. Miraoui, un scientifique pacifique et serein, est dépassé. Le déclassement est craint par les étudiants. A juste titre encore. Réduire le cursus de formation d’un an aboutira au double résultat de bloquer toute équivalence pour exercer dans d’autres pays et de disposer d’une « main-d’œuvre » médicale à bon marché. Réduire les études de médecine d’un an, c’est réduire les médecins à une simple main-d’œuvre, et on peut comprendre qu’ils refusent cette perspective… et donc qu’ils aient encore plus envie de partir.

L’objectif non déclaré mais assumé du gouvernement est de retenir les jeunes médecins dans le pays. Mais si le gouvernement réfléchit un peu, il comprendrait qu’avec son comportement, non seulement il n’incitera pas à rester ceux qui veulent partir, mais encouragera ceux qui n’y ont pas pensé à le faire. La gifle n’est et ne sera jamais la panacée ; la ruse non plus. Et le résultat est, pour rester dans le jargon médical, la métastase de la contestation, et une furieuse envie d’aller ailleurs.

Les autres étudiants font corps avec leurs camarades en médecine, les avocats s’impliquent, les enseignants les plus prestigieux aussi, les parents sont outrés, la société civile s’indigne, les médias s’émeuvent. Samedi 5 octobre est un jour de mobilisation, de refus de l’unilatéralisme décisionnel du ministère et du gouvernement. M. Miraoui est manifestement dépassé, M. Akhannouch est comme à son habitude en pareils cas, calfeutré dans sa présidence… et le gouvernement déclassé.

Alors, dans l’intervalle, que l’on nous fasse grâce des grandes envolées sur les-CHU-les-plus-grands-d’Afrique ou sur ce grand chantier de la couverture médicale universelle. Pour avoir un secteur médical de bonne facture, il ne faut pas aggraver la fracture avec les médecins.

Aziz Boucetta