(Billet 759) – Le semi sommet d’Alger et nos relations avec les Algériens

(Billet 759) – Le semi sommet d’Alger et nos relations avec les Algériens

Pour les Marocains, la grand-messe de la Ligue arabe qui s’est tenue à Alger n’a eu d’autre intérêt que celui du niveau de représentation marocain, étant entendu que les relations sont au plus bas depuis un an et très mauvaises depuis plusieurs années. Et comme ces relations sont d’une double nature, officielle et populaire, il est intéressant de scruter leur évolution.

Sans remonter aux années Boumediene et à cette très forte aversion qui caractérisait les sentiments de l’ancien chef de l’Etat à l’égard du Maroc, souvent ordurière comme l’avait rapporté Jean Daniel, il y a toujours eu une relation de crispation entre Alger et Rabat… crispation ponctuée de périodes de détente, plutôt rares et brèves, à l’image de cette embellie de 1988 à 1992, du temps de Chadli Bendjedid.

Suite à l’attentat de Marrakech en 1994, le Maroc avait pointé du doigt les Algériens, qui décidèrent alors de fermer la frontière terrestre de Zouj Bghal. Depuis, tout va de mal en pis, avant que rien n’aille tout court, en dépit des khawa khawa tonitrués de part et d’autre de la frontière et n’ayant pas de véritable résonnance au sein des deux sociétés qui se sont éloigné d’année en année, de décade en décennie.

Cet éloignement s’affirme malgré de très brefs moments de communion entre les deux peuples, séparés par l’éducation, la pratique politique, le rapport à l’histoire, et par rapport à l’avenir. Cela fait donc près de 30 ans que les frontières sont fermées… une génération. La génération du web et de la communication, de l’instantanéité et des réseaux sociaux. Les jeunes des deux pays se sont connectés ailleurs et rapprochés avec d’autres, privant la région d’une connexion générationnelle qui aurait été en mesure de dépasser les clivages politiques.

Aujourd’hui, les Marocains se sentent agressés dans leur souveraineté et intégrité territoriales, et les Algériens, de leur côté, se désintéressent des actes et actions d’un Etat qu’ils ne considèrent pas comme légitime. Les Marocains, pour leur part, et avec l’avènement des nouvelles technologies, soutiennent leur Etat…

… et cela donne un relief particulier à ce conflit qui, d’étatique, politique et officiel, est devenu


celui des populations. Comment expliquer autrement cette évolution qui, de 2019 et le très fort enthousiasme et engouement des Marocains pour l’équipe de football algérienne victorieuse du trophée africain, a vu glisser la réelle affection que l’on retrouvait à tous les niveaux de la société à une sorte d’aversion, de confrontation, d’humour corrosif du côté ouest de Lalla Maghnia et de positions agressives du côté est ?

Et si tout cela était encore plus ou moins contenu du temps d’Abdelaziz Bouteflika, même dans son fauteuil, et du général Ahmed Gaïd Salah, même avec ses éternelles jumelles pointées vers le Maroc, les choses ont brutalement basculé avec l’avènement d’Abdelmajid Tebboune au sommet de l’Etat et de Saïd Chengriha à la tête de l’armée. Depuis, en effet, tout va mal, très mal… Alger accusant le Maroc de tous ses maux passés et à venir, et Rabat, toujours courtois, officiellement suave, affichant néanmoins une remarquable (et plus ou moins hostile) distance avec son incertain voisin.

Et les choses continuent et continueront d’empirer, aggravées par l’adhésion des populations. L’opinion publique marocaine est portée par un patriotisme compréhensible et une crainte diffuse face à l’aventurisme guerrier des généraux algériens et de leur étrange et parfois tragicomique créature présidentielle ; quant à la population algérienne, elle est plus préoccupée par ses conditions de vie et inquiète de ses dirigeants irréguliers, incertains, agressifs et pétris de certitudes, en plus d’être géopolitiquement myopes, en s’adossant militairement à un pays militairement affaibli et diplomatiquement de plus en plus isolé.

Dans ce conflit d’un autre âge, dont les deux pays auraient pu faire l’économie en ces temps économiquement difficiles pour tout le monde, le continent d’en face continue d’attiser les braises, pariant sur l’un contre l’autre, et inversement, essayant de contenter les deux mais se retenant soigneusement de jouer une médiation fondée sur l’Histoire, pour fonder un meilleur avenir.

Pour l’instant, aucune personne sensée ne peut prévoir un quelconque rapprochement entre les deux pays que pourtant tout unit, mais qui sont appelés à rester durablement désunis, ainsi que le montrent encore une fois, avec éclat, les péripéties du semi sommet d’Alger.

Aziz Boucetta