(Billet 1079) – Pour comprendre la question du Sahara, le dernier livre de Samir Bennis
La question du Sahara entre dans sa 50ème année, mais elle entame aussi les dernières phases de ce qui semble être son règlement définitif. Les Algériens pourront dire ce qu’ils veulent et agir comme ils l’entendent, cela ne changera rien. Mais comme l’a dit le roi dans son dernier discours, l’heure est à la mobilisation générale, pour un dernier élan. Et pour cela, il faut être informé et continuer de s’informer. Le dernier livre de Samir Bennis peut beaucoup servir.
Un livre de plus, donc, qui viendrait s’ajouter à la pile d’ouvrages déjà écrits sur le sujet ? Alors d’abord, il existe deux types de livres sur la question du Sahara, ceux écrits par des Marocains, bien au fait de l’histoire de leur pays, de sa colonisation et de sa décolonisation (l’ambassadeur Ali Achour, l’universitaire Rahal Boubrik, le décisif Abdallah Laroui…) ; ensuite, les autres, généralement non marocains, qui se sont attelés à écrire récemment sur la question, mais qui n’apportent pas d’éléments nouveaux à ceux déjà connus.
Le dernier livre de M. Bennis, « l’illusion de l’auto-détermination : comment les activistes et les journalistes ont pollué l'affaire du Sahara occidental », une véritable somme de près de 600 pages, revient sur l’ensemble du processus, avec des informations et des faits révélés pour la première fois, issus de journées entières, de semaines, passées, dans les bibliothèques et centres de recherche d’Espagne, de France et d’Amérique, des vérités cachées sur la question, car classées et déclassifiées dans les dernières années (CIA entre autres), des échanges diplomatiques et surtout, surtout, des confidences de diplomates marocains ou étrangers aux Nations Unies, cœur battant de la question.
L’auteur est fin connaisseur de ce dossier, pour l’avoir étudié depuis environ un quart de siècle, où il a vécu en France, en Espagne et aux Etats-Unis. Cela lui a donné l’occasion et l’opportunité de voir, de revoir, de lire et relire les différentes, riches et souvent inaccessibles archives françaises, espagnoles ou onusiennes. A New York, où l’auteur a résidé près de dix ans, et où il a travaillé au sein de la fameuse et attristante 4ème Commission de la décolonisation, il a pu consulter et compulser les archives concernant notre cause nationale de même qu’il a suivi avec attention les débats entre différentes délégations. Tout cela en fait un observateur avisé et surtout un connaisseur fort bien documenté sur la question.
Par ailleurs, toute personne intéressée par le dossier du Sahara doit pouvoir, et surtout savoir l’appréhender sous plusieurs angles. Du passé alaouite et marocain de ces territoires à leur colonisation, du départ des Espagnols entre 1956 et 1969 de partout sauf du Sahara marocain, des tractations, chausse-trappes, pièges et coups bas des années 60 à la Marche Verte de 1975, puis la suite… de tout cela, il faut avoir connaissance, de même qu’il faut s’instruire sur les différentes actions du Maroc pour récupérer ses terres et les inévitables erreurs commises dans les années 60.
Ce livre, publié durant l’été 2024, tombe à point nommé pour répondre à cette mobilisation générale demandée par le roi Mohammed VI ; il importe pour cela de connaître l’histoire du Sahara et de ses différentes évolutions, pour pouvoir agir et réagir aux prochains, prévisibles et violents soubresauts des Algéro-polisariens dans les mois qui viennent.
Ce livre de Samir Bennis est en effet truffé de références, renvois, citations, anecdotes et autres références. Toutes ces informations expliquent la raison essentielle, comme l’a expliqué l’auteur dans sa conférence de presse de présentation, du « fourvoiement » initial du Maroc dans cette affaire. Il faut reconnaître que dans les années 60, la diplomatie marocaine moderne en était encore à ses balbutiements ; elle manquait donc d’expérience et de profondeur face à
une diplomatie espagnole plus aguerrie, face à un Franco plutôt teigneux, face à une Algérie revancharde, face à une Mauritanie soupçonneuse et encore « traumatisée » par le refus du Maroc de la reconnaître comme Etat indépendant, face enfin aux intrigues et manipulations françaises, qui devaient se prolonger sur plusieurs décennies, jusqu’à cet été… du moins nous l’espérons.
Toutes ces turpitudes, double-jeux et forfaitures sont abondamment décrites dans le livre de Samir Bennis, préfacé par l’ambassadeur Hassan Hami. L’auteur les a tirées de dizaines de rencontres, d’entretiens, de dialogues avec les protagonistes. Cela n’a l’air de rien, mais compulser et consulter ces milliers de documents, c’est un travail monumental, qui a finalement abouti sur cette somme non moins monumentale. Un véritable traité d’histoire du Sahara dit occidental. Le paradoxe est que Samir Bennis ne se revendique ni historien ni écrivain ; quand on lui demande ‘asbabe nouzoul’ de ce travail, il se lance dans un torrent d’explications, plus passionnées et enflammées les unes que les autres, montrant l’irrésistible intérêt de M. Bennis pour cette question. Ecrire ce livre est un objectif qu’il s’est fixé depuis plusieurs années, après avoir rédigé d’autres ouvrages sur les relations Maroc-Espagne. Cela lui a montré l’utilité, voire l’incontournable nécessité d’élargir la réflexion et le débat pour comprendre toutes les facettes de cette épineuse et délicate question du Sahara.
Le livre commence par une sorte d’histoire inversée, avec cette bienvenue, inattendue et ô combien importante reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara ; comment elle s’est faite, pourquoi, par qui et surtout contre la volonté de qui. Ensuite l’auteur revient dans ce qui serait des prolégomènes sur l’histoire et les péripéties onusiennes du statut du Sahara, avec par exemple les récits (à déconstruire) sur les origines de ce qui est appelé « nation sahraouie ». Ensuite, Samir Bennis décortique le rôle de l’ONU, explique celui de la fameuse Cour internationale de justice et cet arrêt qui dit la chose et son contraire, et revient longuement sur la portée du retour africain d’un Maroc très africain, s’arrête sur le cas Cour de justice de l’UE (qui constitue l’actualité du moment, et en lisant le livre on comprend mieux). Et comme on ne peut faire l’impasse sur le rôle des voisins algériens, espagnols et français, l’auteur revient sur les différents épisodes de l’intervention et la manière d’intervenir de ces pays dans la question du Sahara.
Examinant ce dossier, on peut considérer quatre grandes périodes, avant la décolonisation, les décennies 60 et 70, très actives, puis celles allant de 1975 à 1991, phase de guerre, puis depuis les années 2000. Samir Bennis s’attarde sur cette période tout au long de son ouvrage, partant du principe que si l’Histoire est passée et qu’elle est toujours importante, le présent est encore plus intéressant car c’est des actes entrepris et encore en cours que dépendra l’issue favorable – pour le Maroc – de cette question.
Quand on parcourt les rayons des bibliothèques et librairies dans le monde, et qu’on s’y intéresse au Maroc, on trouve le plus souvent des livres sur les rois Hassan II et Mohammed VI (historiques, dithyrambiques ou caustiques), sur Ben Barka, sur l’histoire générale du royaume… depuis quelques années, on peut trouve aussi des livres d’histoire écrits par des Marocains bien au fait du passé de leur pays.
Le livre « l’illusion de l’auto-détermination : comment les activistes et les journalistes ont pollué l'affaire du Sahara occidental » en fait désormais partie. Ecrit en anglais, il gagnerait – et une meilleure connaissance de l’affaire du Sahara aussi – à être traduit en arabe, français et espagnol. De même que tous les autres ouvrages sur le Sahara marocain.
Afin que nul n’ignore…
Aziz Boucetta