(Billet 1062) – Qui a intérêt à affaiblir l’Istiqlal ?

(Billet 1062) – Qui a intérêt à affaiblir l’Istiqlal ?

Il est des moments où il faut se poser des questions, s’interroger sur le fond des choses, et essayer d’apporter des réponses. Exemple de question et d’interrogation : qui bloque l’Istiqlal, si tant est qu’il soit bloqué ? Pourquoi cette question ? Parce qu’après la tenue du congrès fin avril dernier, après deux ans et demi de retard, voilà que le comité exécutif, la tête (en principe) pensante et agissante du parti, tarde à être formé et annoncé.

Il n’est plus un secret pour personne que ce parti, depuis l’arrivée de Nizar Baraka à sa tête, est parcouru par deux clans. Le premier peut être qualifié de légitimiste, mais ce n’est pas précisément un clan ; il est animé par les militants du parti qui suivent et respectent le cours normal des choses, c’est-à-dire la ligne du secrétaire général régulièrement élu et légalement installé. Il est naturel qu’une fois une personnalité portée au secrétariat général, il puisse conduire sa formation avec ses amis, pour porter leur projet commun. Quel est-il ? Cela est une autre affaire…

Le second groupe, qui est de fait un clan, est celui dit des notables du sud, menés par Hamdi Ould Rachid, notablement et notoirement connu pour être un des influents du parti ; celui qui y fait la pluie et le beau temps, ce qui pose problème de conflit d’intérêt quand le secrétaire général est aussi ministre de l’Eau…Les Istiqlaliens ne le reconnaîtront jamais officiellement, publiquement, mais depuis 2017 et cette élection opposant MM. Baraka et Chabat pour la chefferie istiqlalienne, et dans laquelle Hamdi Ould Rachid avait joué un rôle… percutant, le même Hamdi Ould Rachid continue de tirer les ficelles et de tirer sur celles et ceux qui ne le rejoignent pas.

Et depuis, il s’est passé des choses… maintien du parti dans les rangs de l’opposition, préparation aux élections de 2021, antagonisme viril entre le courant Baraka et le clan Ould Rachid, formation d’une coalition d’opposition Istiqlal/PPS/PAM, adhésion à la majorité et entrée au gouvernement Akhannouch… le tout dans le cadre de la gestion du différend entre les deux chefs, celui qui l’est et celui qui voudrait placer un des siens pour l’être à sa place.

Puis commence la longue attente pour la tenue du congrès, qui devait se réunir en principe en 2021, puis en 2022… et on a attendu 2023, avec une formation au bord de l’illégalité, et c’est finalement en 2024 que, dans la douleur, dans le doute, dans le colmatage des plaies et le ravalement de la façade, le congrès s’est tenu fin avril. Et l’autre attente a commencé, celle de la désignation des 30 membres du comité exécutif.

Est-ce vraiment important de s’occuper et même de se préoccuper des affaires intérieures de ce qui n’est finalement qu’un parti parmi d’autres, dans cet océan de médiocrité qu’est notre classe politique ? Oui, précisément parce que l’Istiqlal demeure ce parti chargé d’histoire et de symbolique, cette formation qui sait dire (poliment) non quand il le faut, et qui sait (gentiment) montrer ses crocs le moment opportun… et qui peut même aligner des cadres technos politiquement formés.

Alors raisonnons par l’absurde. Qui bloque la marche normale du parti de l’Istiqlal ? On peut d’emblée exclure Nizar Baraka, chef incontesté mais leader contesté, qui œuvre avant tout à faire tenir le paquebot Istiqlal jusqu’aux élections de 2026. On a aussi pensé à un « ailleurs » vertical du parti, mais cet « ailleurs » semble avoir montré plutôt de la bienveillance, sans laquelle le congrès ne se serait pas tenu en 2024, n’est-ce pas… Alors il reste


le « dedans », le clan de ceux qui veulent peser dans le parti et pour ce faire, s’évertuent à soupeser leurs chances et à imposer leur clientèle, leurs troupes, qu’un Istiqlalien identifie aisément à leurs ambitions contrariées et à leurs pratiques largement discutables. Ils se reconnaîtront.

Scrutons maintenant plus en profondeur ce « dedans » et ramenons-le à la réalité du parti. On se souvient qu’en 2022, une mini révolution de palais avait été conduite, clairement et officiellement, par Hamdi Ould Rachid pour mettre Nizar Baraka en minorité et en difficulté. Le secrétaire général avait alors remporté la bataille, aidé et soutenu (entre autres) par l’influente Alliance des économistes istiqlaliens ; mais les Ould Rachid se sont maintenus à leurs fonctions, dont les plus éminentes sont celles de Hamdi Ould Rachid, maire de Laâyoune, et son proche parent Naâm Miyara, président de la Chambre des conseillers et, curieusement, encore secrétaire général de l’UGTM, le syndicat istiqlalien ! Le cumul des mandats, au Maroc, on ne connaît pas trop.

Alors, aujourd’hui ? Et bien aujourd’hui, on dit que le conseil national se réunira en fin de mois pour désigner, enfin, les membres du comité exécutif, quelques jours avant le renouvellement du Bureau de la chambre des conseillers et en pleines rumeurs et brainstorming pour un hypothétique remaniement, désormais inutile car rien ne le justifie à ce stade de la mandature. Bien des négociations, tractations, spéculations, concessions et autres compromissions sont à prévoir, connaissant la (triste) réalité de notre classe politique en général, de l’Istiqlal en particulier, ce parti exposé à tous les vents depuis quelques années, et précisément depuis son entrée au gouvernement.

D’où la question : qui a intérêt à affaiblir l’Istiqlal ? Ou, en d’autres termes, à qui profiterait un reflux de ce parti ? Avec tout le respect que l’on peut devoir à des formations comme le PPS, de petite taille, l'USFP, à l'envergure singulièrement réduite, au PJD, qui se débat avec ses démons internes, de l’UC, qui n’est même plus l’ombre de ce qu’elle n’aurait jamais dû être… il reste les deux autres partis de la coalition gouvernementale. Le PAM tricéphale œuvre à exister et à convaincre, la direction à trois, puis à deux (depuis hier), s’étant depuis son élection transformée à une direction « normale », qui semble conduite par Mehdi Bensaïd (Fatima Zohra Mansouri étant dépassée et Salaheddine Aboulghali mis au frigo).

Il reste donc le RNI, surpuissant, aujourd’hui omnipotent, qui s’évertue à être omniprésent et donc à affaiblir les autres. Son objectif difficilement masqué est de gagner en 2026 et de se maintenir à la présidence du gouvernement, et pour ce faire son concurrent direct et dangereux demeure l’Istiqlal ; et donc haro sur l’Istiqlal, avec tous les moyens possibles ! Et parmi tous ces moyens, savoir se montrer reconnaissant avec les syndicats qui ont aidé Aziz Akhannouch à ficeler et boucler son dialogue social. Parmi les centrales concernées, l’UGTM, dont le chef est… Naâm Miyara, que le RNI verrait bien maintenu en fonction. C’est ce qui s’appelle faire d’une pierre deux coups : rendre sa courtoisie à M. Miyara et le conserver comme « cinquième colonne » au sein même de l’Istiqlal, l’adversaire à affaiblir.

Tout cela est de bonne guerre, mais à force de jouer avec les institutions, on s’expose au scénario français, à savoir obtenir des institutions ingouvernables, ou favoriser le succès du RNI, alors que le Maroc sera exposé aux yeux du monde avec ses échéances nationales et planétaires. Mais le Maroc, à l’inverse de la France, بيت له رب يحميه … ou, plus trivialement, "إيلا خيابت دابا تزيان".

Aziz Boucetta