(Billet 1061) – L’Afrique convoitée… des "Sommets" et du sommeil

(Billet 1061) – L’Afrique convoitée… des "Sommets" et du sommeil

L’Afrique était endormie, profondément, et aujourd’hui, elle sommeille encore, réveillée de temps à autre au détour d’un « Sommet »… Il ne se passe en effet pas une année sans qu’un pays, puissant ou aspirant à l’être, ne convoite l’Afrique et ne se réunisse avec elle pour un « Sommet »… Les Etats-Unis et la Russie, la Chine et l’Inde, la Turquie, le tout petit et improbable Israël et l’immense et insondable Arabie Saoudite, l’Italie, l’Espagne… Les chefs d’Etats ou de gouvernements africains font le déplacement, paradent, pérorent et posent, pendant que leurs hôtes discourent, multiplient les risettes et les promesses, et prennent aussi la pose. Les milliards, à défaut de pleuvoir, sont du moins annoncés. Et c’est tout, en l’attente d’un prochain « Sommet » avec un autre pays !

Mais que signifie précisément se réunir avec l’Afrique, organiser un « Sommet » avec l’Afrique ? 54 pays souvent très éloignés les uns des autres, sans aucun point commun autre que l’appartenance continentale, souvent sans affinités, parfois en plein hostilité, chacun tirant la couverture à lui. Et au final, pas grand-chose ! Si des projets voient le jour et prennent forme, ils sont les plus souvent issus de discussions bilatérales qui auraient tout aussi bien pu être menées sans « Sommet ».

Quelle signification peut de fait avoir une grand-messe réunissant simultanément les dirigeants de Pékin avec les Namibiens et les Mauritaniens ? Qu’ont en commun des pays comme le Maroc et le Zimbabwe, hors leur appartenance au genre humain et à l’Afrique ? Et comment se comportent ces dirigeants mondiaux qui reçoivent leurs homologues africains ? Ces conférences ont tout l’air d’être des déversoirs des egos de ces dirigeants car en réalité, il semblerait que ce ne soit pas le Sommet Chine-Afrique mais Xi Jiping-Afrique, pas Turquie- Afrique mais Erdogan-Afrique, Netanyahou-Afrique, Meloni-Afrique…

Ces agapes transcontinentales sont-elles, comme on le dit de plus en plus souvent, la marque d’une bascule du colonialisme passé spécifique à chaque pays colonisé à un impérialisme collectif en Afrique ? Ou, à l’inverse, sont-elles un levier d’influence géopolitique sur fond d’ouverture économique et de créations de débouchés commerciaux, de mise en place de points d’appuis sécuritaires et de mobilisation diplomatique pour tous ces pays qui entretiennent des ambitions planétaires ? La question mérite d’être posée car depuis qu’ils existent et qu’ils exaltent le co-développement, les pays d’Afrique n’ont pas relevé de grandes différences avec leurs existences passées, hormis le discours et les apparences des nouveaux entrants sur le continent, qui tranchent avec les comportements des anciens colons.

Et pourtant, tous, sans exception, cherchent des avantages sur le sol et dans le sous-sol africain, prolongeant en Afrique leurs dissensions à l’échelle mondiale. Les Etats-Unis viennent avec leurs maigres investissements économiques et leurs lourdes installations militaires pour contrecarrer les présences russe et chinoise, les Français essaient de résister et d’exister, les Chinois font du business et prêtent à tour de bras, et les


autres…

En réalité, ces « sommets » entretiennent et alimentent les frictions entre pays africains qui, en lieu et place de transformation sur place de leurs ressources minières, font montre de concurrence pour attirer les investisseurs étrangers chez eux, aux conditions de ces derniers. Il apparaît donc que ces « Sommets » convoqués ou invités dans les « grandes capitales » servent bien plus les intérêts de l’hôte que ceux du visiteur.

L’Afrique est un continent formé de 54 pays, très différents et spécifiques, mais avec des problèmes similaires, économiques, sociaux et politiques : une jeunesse désœuvrée mais ambitieuse, de mieux en mieux formée, de plus en plus exigeante ; des sous-sols extrêmement riches mais largement sous ou mal exploités, des systèmes politiques inadaptés, une insécurité croissante, des pressions diplomatiques ou économiques venues du Nord, et pas seulement le Nord occidental…

Mais l’Afrique est animée par ses « locomotives », économiques et diplomatiques. Des pays comme le Maroc, le Kenya, le Nigéria, le Sénégal, le Rwanda, l’Afrique du Sud et d’autres ont pris le train du développement et de l’autonomie par rapport aux grandes puissances : ils décident (presque souverainement) de leurs politiques économiques, ils déterminent (presque seuls) leurs positions diplomatiques, ils se coordonnent (presque librement)… et ils avancent, lentement mais sûrement. Néanmoins, ils restent rares et semblent peiner à rallier les autres pays du continent à leur (presque) autonomie de décision.

Il est important que l’Afrique prenne la mesure de ce qu’elle est et de ce qu’elle a, et de la même manière que ses Etats sont placés en concurrence dans ces « Sommets » transcontinentaux, ces mêmes Etats doivent placer ces puissances en compétition. Comment faire ? Ce qu’avait réussi à réaliser le roi Mohammed VI en novembre 2016 quand il avait placé face aux chefs d’Etat africains une brochette de dirigeants mondiaux (l’alors SG de l’ONU Ban Ki-moon, l’ancien secrétaire d’Etat John Kerry, François Hollande…).

Les Africains ne doivent plus s’adresser à une seule puissance par « Sommet » mais à plusieurs, simultanément ; les conduire à s’engager, collectivement, sur l’extraction et l’exploitation des richesses minières ou minérales, en signant des déclarations contraignantes ; leur faire admettre les nécessités d’une mobilité plus affirmée et plus libre, en les amenant à reconsidérer leurs politiques de visas et à baisser un peu les murailles qu’ils ont érigés autour de leurs territoires…

Moscou, Pékin, Washington, Paris et Londres organisent cycliquement des « Sommets » avec l’Afrique ; qu’ils montrent donc leur disposition à « aider l’Afrique » en rehaussant sa participation dans les aréopages internationaux et qu’ils acceptent d’accorder un siège de « permanent » au continent ; qu’ils légifèrent chez eux pour contraindre leurs entreprises à respecter les intérêts des pays africains où elles exercent leurs activités…

Autrement, ces « Sommets » continueront de se tenir, de se ressembler et d’entériner cette nouvelle forme d’impérialisme économique et d’ostracisme diplomatique. Entre deux « Sommets », les Africains doivent émerger de leur sommeil. Un vœu pieux certes, mais un vœu quand même.

Aziz Boucetta