(Billet 1034) – A. Ouahbi entre l’action pour le droit et l’éructation contre le non-droit
Quand un ministre s’exprime, on l’écoute et en principe, on peut même le croire. Et quand c’est un ministre de la Justice qui prend la parole, dans l’institution parlementaire qui plus est, et qu’il évoque une situation de non-droit, alors il est important qu’il y ait des suites, voire des poursuites, contre les auteurs de ce non-droit. Le ministre qui nous intéresse est Abdellatif Ouahbi et la situation qui nous stresse est l’acte consistant à réclamer un certificat de mariage à un couple hétéro se présentant à un hôtel.
Il est bien regrettable que dans ce pays qui aspire à tant de grandes choses, nous en soyons encore réduits à ergoter sur de si petites choses. Il faut dire que le code pénal fourmille d’actes restrictifs de libertés, mais que cela soit au moins frappé au coin d’un certain bon sens. Qu’a donc dit M. Ouahbi au parlement ? Que, en substance, un hôtelier n’a pas plus le droit de refuser une chambre à une femme résidant dans la même ville que celle où se trouve l’hôtel que celui de refuser de loger un couple, homme et femme, sans que ce dernier ne présente une officialisation religieuse et légale de leur relation. Le ministre de la Justice a même ajouté que quiconque réclame ce document enfreint la loi et mériterait d’être poursuivi, M. Ouahbi ayant en outre déclaré avoir lui-même cherché le fondement juridique de la réclamation d’un acte de mariage, en vain, vingt ans durant.
Vérifications faites auprès de plusieurs hôteliers, rien de tout ce qu’a dit le ministre ne leur est parvenu. Ils persisteront à réclamer un acte de mariage à tout couple qui se présente, marié ou non. Là où réside le problème est que quand les deux personnes ne sont pas mari et femme, elles prennent deux chambres et se retrouvent ultérieurement dans l’une d’elles, pour le reste de la nuit. Et tout cela se produit le plus généralement au vu et au su du personnel de l’établissement. Pour un couple homosexuel, aucun document n’est requis, la présomption d’hétérosexualité prime ! En outre, si on devait vraiment appliquer la loi, et sachant que celle-ci ne mentionne ni ne précise la nationalité des « contrevenants », les hôteliers devraient également demander un acte de mariage à des couples étrangers, hétéros ou homos… Dura lex, sed lex ( la loi est dure mais c’est la loi) mais au Maroc, « la loi est dure… pour ceux contre lesquels elle est appliquée » !
Que signifie dans le fond cette approche de la loi et du respect des législations ? Et bien cela réduit la force de la loi et atténue l’adhésion des populations à tous
les règlements et textes juridiques du pays. Comment convaincre un(e) citoyen(e)e d’observer les règles si certaines sont plus importantes que d’autres, si quelques-unes sont perçues comme facultatives et que d’autres sont systématiquement bafouées ? Les gens doivent s’acquitter de leurs impôts mais dès qu’ils le peuvent, ils s’en abstiennent… Griller un feu ou dépasser une limitation de vitesse ou encore brûler un stop devient chose courante, avec une impunité galopante et une insécurité routière en épouvantable aggravation.
Rien ne pourrait être fait dans ce pays si la loi continue d’être à géométrie variable, avec des textes « importants » et d’autres, considérés comme « secondaires », avec des gens « plus justiciables » que d’autres, avec une justice qui prête encore le flanc à la définition de Jean de La Fontaine qui disait que « selon que vous soyez puissant ou misérable, la justice de cour vous fera blanc ou noir ».
Dans cette affaire de relation entre personnes non mariées, M. Ouahbi en a trop dit ou pas assez, ou plutôt a trop dit et pas assez fait. Quand un ministre de la Justice qui se respecte, dans un pays qui veut qu’on le respecte, pointe une anomalie juridique ou judiciaire, il lui appartient d’aller le plus loin possible, en redressant le tort et en rétablissant le droit. Ou alors, à l’instar de ses prédécesseurs, qu’il se taise à jamais !
Mais que pouvait-il faire, le malheureux ? Dans un monde idéal, se taire, s’il sait qu’il ne peut rien faire. Sinon, dénoncer certes l’acte illégal qu’il accuse les hôteliers de commettre et, pour leur éviter des ennuis pour une posture qui leur est imposée verbalement (puisqu’il n’y a pas de texte de loi correspondant), saisir celui par lequel la peur arrive, en l’occurrence le ministre de l’Intérieur. Mais comment demander à un ministre d’autoriser quelque chose qui n’est pas interdite, ou de ne plus interdire quelque chose qui ne l’a jamais été ? C’est tout le charme de notre royaume, où on interdit sans texte, où on autorise verbalement, où une épée de Damoclès menace le crâne de tout le monde…
M. Ouahbi est réputé pour son audace langagière et pour ses postures souvent courageuses, parfois inutilement provocatrices, mais trois ans presque après sa nomination, cela ne suffit plus. Maintenant qu’il n’est plus secrétaire général de parti, il peut prendre des risques, sachant qu’il ne risque plus rien, sauf d’entrer dans l’Histoire ! A lui d'expliquer aux inconditionnels de ces lois et coutumes restrictives de libertés qu'un texte doit être soit respecté soit abrogé.
On attend donc aujourd’hui plus l’action que les éructations de M. Ouahbi sur l’enrichissement illicite, sur les peines alternatives, sur les articles restrictifs de libertés individuelles…
Aziz Boucetta