(Billet 1021) – Et finalement, Aziz Akhannouch parla aux Marocains…
Faut-il se réjouir des récentes prises de parole du chef du gouvernement Aziz Akhannouch ? Faut-il ne garder que cela à l’esprit, l’homme étant taiseux (en public) depuis ces deux dernières années, ou aller au fond des choses et analyser ce que le patron de la majorité a dit, ou n’a pas dit ? Les deux.
Sur le fond, M. Akhannouch a développé, au parlement et à la télé, sur un temps cumulé de près de trois heures et demi, son bilan d’étape. Et le moins que l’on puisse dire est que bien des choses ont été réalisées, sur pratiquement tous les plans, éducation et santé, investissement et logement, aides directes et aides à l’entreprise… Tout cela a permis au chef du gouvernement d’égrainer les chiffres, en millions et en milliards.
On peut reprocher bien des choses à Aziz Akhannouch et à ses « ministres », mais pas celui de ne pas s’investir dans leurs missions respectives. Mais la liste des réalisations et des acquis aurait été bien plus convaincante s’il y avait des contradicteurs en face du chef du gouvernement, ou au moins des journalistes plus incisifs, plus offensifs. La bienveillance de ceux qui l’ont interrogé a plutôt desservi le chef du gouvernement.
Et si on devait s’arrêter sur un point, un seul, parmi tous ceux que Ssi Akhannouch a développés, ce serait celui de l’emploi. Les chiffres dansent et se contredisent, entre le million d’emplois à créer que promettait le RNI en campagne électorale, entre les dizaines de milliers d’emplois créés depuis le début du mandat gouvernemental aux dires du ministre de l’Industrie, entre les centaines de milliers d’emplois détruits en deux ans selon le HCP. Retenons surtout cette contradiction : le 5 février, le HCP affirme qu’ « entre l’année 2022 et 2023, l’économie nationale a perdu 157.000 postes d’emploi », et dans son discours au parlement, M. Akhannouch affirme qu’ « en moyenne, entre 2022 et 2023, les activités non agricoles ont créé 116.000 emplois nets ». Qui croire ? Pour rappel, nos confrères de TelQuel ont écrit voici quelques semaines que M. Akhannouch, « choqué » par les chiffres du chômage (13% au général, 35,8% pour les 15 à 24 ans), a confié le traitement de cette question au cabinet McKinsey, sans qu’il y ait eu démenti, ni clarification ni explication du chef du gouvernement, d’un membre du gouvernement,
et même du gouvernement dans son ensemble !
S’il devait y avoir un contre-exemple pour infirmer les assertions de type « tout va bien, Madame la Marquise », ce serait bien celui de l’emploi. On peut aller aussi sur les chiffres de l’AMO, contestés, ceux de l’investissements, non attestés, le secteur de l’éducation, chahuté, celui de la santé publique, rudement affecté…
Sur la forme, le genre humain remarquera que M. Akhannouch s’est adjoint les services de « médias trainers » pour éteindre sa « phobie » des médias. Bon travail, mais il y a du travail à faire encore ; il reste deux ans et demi pour cela. Sur la forme toujours, et ainsi que l’affirme notre confrère Younes Meskine dans thevoice.ma, les très nombreuses références aux instructions royales et au roi interrogent… M. Akhannouch présentait-il au parlement son bilan ou celui du Roi, que ni la constitution, ni la tradition ni la bonne éducation ne prévoient d’établir ? Le roi décide de la politique générale du pays, en Conseils de ministres, et tient des réunions de travail pour le suivi de l’exécution de cette politique générale et sa déclinaison en politiques publiques. Au parlement, le chef du gouvernement doit présenter son bilan à lui et en assumer la responsabilité, sans invocation systématique de la volonté royale, exprimée de bien diverses manières sur bien des canaux de communication.
Que retenir donc de cette sortie du chef du gouvernement, après plus deux ans de mutisme médiatique ? Rien de bien particulier. Une litanie de chiffres et de lettres, certes maîtrisés par celui qui les énonce, certes faisant partie d’une politique gouvernementale cohérente à défaut d’être convergente, certes montrant l’action du gouvernement… mais ressemblant étrangement à un programme électoral où tout est bon, tout est merveilleux, où rien n’est discutable ni discuté. Si Aziz Akhannouch appréhende tellement les médias, il lui appartient de multiplier des rencontres avec des journalistes, en off, comme le faisaient ses prédécesseurs, y compris ceux qui ne lui sont pas acquis. Il passerait plus aisément ses messages et s’habituerait même à leur présence…
Nous retiendrons donc de cette prise de parole le fait pour le chef du gouvernement d’avoir, précisément, pris la parole, que l’équipe de communication de M. Akhannouch a fait son travail et que, enfin, pour que ce dernier soit vraiment convaincant, elle doit encore redoubler d’efforts !
Aziz Boucetta