(Billet 1017) – Le gouvernement Akh-Kinsey
Après avoir compris que les notes attribuées par les agences de notation sont sujettes à critique et que les avis d’ONG comme Amnesty International ou Human Right Watch sont orientés et très, trop souvent biaisés, il est temps de saisir le risque, voire même le danger, que peuvent représenter aussi les cabinets conseil pour un pays comme le Maroc, un danger qui concerne l’importance des données fournies et la pertinence des réponses apportées.
Quel est le rôle d’un cabinet conseil ? Gagner de l’argent certes, beaucoup d’argent (ce qui est son plein droit), et répondre aux demandes de l’Etat/territoire-client sur une politique publique à entreprendre, une situation donnée à analyser et évaluer… Comment fonctionne un cabinet conseil ? En collectant des informations, le plus possible, toutes si possible, puis en les classant, les combinant, les croisant, les agrégeant, pour en sortir une stratégie publique qui fait sens. Vendue à prix d’or, bien évidemment.
Fort bien, mais quel est donc le rôle d’institutions comme le Haut-commissariat au Plan, ou encore, ou surtout le Conseil économique, social et environnemental ? Quel est l’apport des structures partisanes, opposition et majorité confondues, pour le genre de questions posées par le gouvernement ou les Régions, elles qui ont précisément englouti des millions de DH de deniers publics pour des études et recherches ? A quoi servent les pleines cohortes de cadres porteurs de grands diplômes et dirigeant des secteurs importants dans l’administration publique, si c’est pour se voir privés de la mission (et du privilège) de contribuer à élaborer une politique publique pour leur pays où ils ont choisi de résider et de travailler ?
Si les Marocains, structurellement, étaient dans l’incapacité de mobiliser leur intelligence et de produire des idées et des projections, ils n’auraient pas eu la méticuleuse et très exhaustive Commission spéciale sur le modèle de développement ou CSMD, pas plus qu’ils n’auraient eu un think tank comme le prestigieux et très prolifique Policy Center for the New South et d’autres organes de réflexion du genre ou de genres différents. Pourquoi le gouvernement et son chef n’y ont-ils donc pas recours pour des secteurs comme l’emploi, surtout quand on sait le « succès » remporté par les autres plans comme le Maroc vert ou l’Azur ?...
Selon les informations détaillées parues chez notre confrère TelQuel, et selon des rumeurs qui se confirment de jour en jour, le gouvernement Aziz Akhannouch, ou peut-être Aziz Akhannouch, a confié ou laisser confier le soin d’élaborer une politique publique pour l’emploi à un cabinet privé, McKinsey en l’occurrence. Tout cela circule depuis quelques jours et ces derniers jours, rien n’est venu démentir ou infirmer ces faits.
Selon TelQuel, donc, citant une source de la présidence du gouvernement, nous apprenons que « le chef du gouvernement n’en revenait absolument pas, choqué par les chiffres présentés devant lui », eux-mêmes fondés sur les projections optimistes de ses ministres. Quels sont ces chiffres ? Un chômage record de 13%, soit 1.580.000
personnes, et de 35,8% parmi les jeunes de 15 à 24 ans. Un rapport du HCP est publié en février, apportant un constat terrible sur l’inefficacité des programmes gouvernementaux comme Awrach ou Forsa qui avaient déjà fait tousser tant de monde.
Aziz Akhannouch panique donc. Dans son discours d’octobre 2022, le roi avait fixé un volume d’investissements de 550 milliards DH de 2022 à 2026, avec la création de 550.000 emplois. Dans son programme électoral, le RNI du président Akhannouch s’engageait à créer un million d’emplois s’il était chef du gouvernement. Il est chef de gouvernement, il n’a pas créé les emplois demandés par le chef de l’Etat pas plus qu’il n’a tenu ses engagements à mi-mandat, d’où la panique. Qui dit pire ?
Et quand on panique dans la galaxie de technocratie qui est celle de M. Akhannouch, comment agit-on ? On se précipite vers McKinsey. Et que fait McKinsey ? Le cabinet fait donner son infanterie, composée de jeunes Marocain(e)s ultra-diplômés mais pas aussi informés et encadrés que leurs tout aussi jeunes compatriotes travaillant pour l’Etat, pour l’université, pour nos meilleurs think tank.
Si cela est vrai, et eu égard aux différentes réactions qui fusent deci delà, il serait bon que le gouvernement Aziz Akhannouch, ou Aziz Akhannouch, réponde à des questions, légitimes dès lors qu’il s’agirait d’usage de fonds publics et que ces questions ne concernent pas un secteur relevant de la défense ou de la sécurité nationales. Pourquoi, à quelques jours du discours de mi-mandat du chef du gouvernement, l’emploi est-il un échec ? Pourquoi avoir confié l’élaboration de solutions à Mc Kinsey (à moins de démentir l’information) et pas à un think tank national ou au CESE qui aurait agi sans bousculer les finances publiques ? Y a-t-il eu marché en bonne et due forme, avec appel à concurrence ? Quelle est la nature exacte de ce marché et combien devra payer l’Etat ?
Au-delà des plans Azur, Maroc vert et d’autres, bien des plans de développement régionaux ont été confiés à des cabinets privés internationaux. Autant dire que toutes les informations sensibles, comme l’économie de Casablanca ou d’Agadir par exemple, sont gentiment remises à des gens, sans aucune idée sur le sort de ces informations !
Le parlement, chargé en principe de contrôler et d’évaluer l’action de l’exécutif, serait grandi s’il s’intéressait à toutes ces politiques et programmes confiés à des cabinets privés, surtout étrangers. Et le gouvernement devrait, idéalement, soumettre la décision de sous-traiter l’élaboration d’une politique publique ou sectorielle à l’aval d’un organisme d’Etat, pour faire cesser la « facilité », la gabegie, le mépris des locaux, et la fuite d’informations sensibles.
Il ne s’agit bien évidemment et bien malheureusement ni de ce parlement, consacré en chambre d’enregistrement et d’applaudissements, ni de ce gouvernement, doté pourtant d’un ministère de la Convergence et d’Evaluation des politiques publiques. Mais dans l’attente et l’intervalle, la Cour des comptes pourrait s’intéresser à cette question des cabinets-conseils.
Aziz Boucetta