(Billet 1012) – Gouvernement Akhannouch, un mi-mandat mitigé, mi-figue mi-raisin
Cela fait exactement deux ans que le gouvernement Akhannouch a été présenté au roi et ses membres de ce fait désignés. Nous sommes donc dans ce que l’on nomme communément un mi-mandat, et un mi-mandat est une date qui doit être marquée, par un bilan, un remaniement, une recomposition de la coalition, une nouvelle vision stratégique… Pour ce gouvernement, tout peut arriver, ou rien. Bilan.
Les acquis sont incontestables et seule une personne de mauvaise foi les dénierait. Hors ministres régaliens bien évidemment, dont l’action se place dans la continuité du temps royal, les autres ont aussi travaillé, pas tous, avec une efficience variable, mais ils ont travaillé. Le chantier phare est bien évidemment celui de la protection sociale, dans ce qui est désormais connu sous le nom générique d’ « Etat social ». La charte d’investissement a enfin été adoptée, après tant d’années d’attentes et d’équilibrages et autres recalibrages. Le dialogue social a marqué des points avec des accords plus ou moins respectés par les parties. La réforme de l’éducation suit son cours, malgré plusieurs heurts et quelques malheurs, comme une grève généralisée, une contestation montante et « métastasogène » et une année scolaire mise en grand péril. Les interconnexions hydriques se mettent (rapidement) en place dans le cadre de la stratégie nationale de l’eau. Le secteur de la presse et des médias est soutenu et un décret de subvention publique est imminent.
Certes, tout ceci est très vrai et bien réel, et les avancées palpables, mais cela reste en grande partie des projets royaux, demandés par le roi, initiés par le roi et suivis/évalués par le roi. Il reste donc la marque personnalisée de ce gouvernement et l’empreinte de son chef sur la politique du pays et, plus généralement, sur les progrès réalisés. Et c’est là que cela pose problème.
Sur le plan politique, il n’y a pas eu grand-chose depuis ce 8 septembre 2021 quand, au soir et à la surprise générale (sauf quelques initiés), le RNI l’emporte largement sur les autres. Une majorité faite avec d’anciens adversaires politiques au ressentiment tenace, à la mémoire longue. Peu de communication politique et encore moins une vision stratégique ; le gouvernement se réclame encore et toujours de ce que fait et/ou veut le chef de l’Etat, reprenant une logique politique de l’ancienne constitution. Politiquement toujours, les deux partis formant la coalition avec le RNI sont en pleine tourmente interne, l’Istiqlal préparant dans la (grande) douleur son très hors-délai congrès et le PAM ayant « congédié » son ancien secrétaire général pour ne pas l’avoir assez « retenu » et l’ayant remplacé par une étrange et inédite formule de triumvirat où le chef ne semble pas être celle qu’on présente comme tel (et où personne n’a été reçu par le roi comme le veut la tradition après un changement à la tête d’un parti) ; le RNI a, comme les autres, des élus et autres dignitaires dans l’œil du cyclone, voire en villégiature prudente hors des frontières. Sur le plan politique, ce gouvernement et cette majorité ont donc simplement plongé la politique, le politique, dans une profonde hibernation.
Sur le plan moral, cela ne va non plus. Les conflits d’intérêts pullulent, à commencer par le chef du gouvernement, dont la société où il détient toujours des parts (bien qu’il ne la dirige plus) est épinglée, une fois, puis deux, avec ses consœurs pétrolières pour des questions
d'entente et de prix. La posture morale de cette majorité, durant cette législature, pose problème au point que le roi demande un code de déontologie juridiquement contraignant pour les partis et que les juges interrogent, inculpent, jugent et condamnent des élus de tous les partis à tour de bras. Quant à la Cour des comptes, elle vient de publier un rapport sur l’usage fait par les partis de l’argent public et le moins que l’on puisse dire est que le constat est… affligeant. Pour ne pas dire condamnable.
Au niveau de la communication, c’est le grand désert. Le chef du gouvernement ne parle pas en public, sauf un peu au parlement, « pour un peu de populisme », dira un des proches collaborateurs de M. Akhannouch. Peu de politiques publiques sont véritablement expliquées par leurs responsables, mais à la place, Aziz Akhannouch et « ses » ministres égrènent les millions et les milliards, les succès et les réussites, jetant ça à l’opinion publique qui est priée de croire et de ne pas trop penser. Rien sur la Samir, rien sur les prix des carburants, rien sur l’arrêt de la centrale solaire Noor III, rien sur les réserves stratégiques, rien sur tout… Face à ce gouvernement muet, même l’opposition a perdu la voix. Cela aura un prix en 2026, lorsqu’il faudra remobiliser les électeurs…
Sur les grands projets ou les grandes mutations, le gouvernement reste invisible, se contentant de dérouler la liste des réalisations mais pas des manquements, comme c’est désormais le cas pour le Nouveau modèle de développement et ne serait-ce que pour le taux de croissance suggéré par la Commission Benmoussa et largement ignoré. En matière de politique africaine, et bien que la diplomatie demeure du seul ressort du chef de l’Etat, force est de constater une certaine ignorance du continent par nos ministres. Quant aux projets sociétaux, il aura fallu pour la réforme du code de la famille un rappel royal pour que le gouvernement s’y attelle, et encore, il l’a fait sur les indications du souverain ; sur le code pénal, rien encore de tangible ; pour les Marocains du monde, rien non plus… Inflation difficilement maîtrisée, chômage en hausse, production agricole en souffrance, corruption galopante… Le gouvernement est venu, a vu, et s’est désintéressé de ces questions.
Enfin, sur la gouvernance et les relations du gouvernement avec les organes constitutionnels, une polémique entre le gouvernement et le HCP sur le nombre de chômeurs, un bras de fer avec Bank al-Maghrib sur la politique monétaire et budgétaire, une controverse avec la Cour des comptes sur la moralité de quelques-uns et l’amoralité de tous les autres, une totale ignorance des recommandations du Conseil de la concurrence…
Alors, comment ce gouvernement marque-t-il son mi-mandat ? En situation normale, les débats s’enchaînent et se suivent, s’accumulent et se multiplient, de préférence contradictoires. Là, rien, un discours programmé du chef du gouvernement au parlement (un peu de « populisme » donc, pour reprendre la malheureuse formule d’un ministre actuel) où il abreuvera son auditoire de millions et de milliards, et une réunion pour reconduire son occupant actuel à la présidence de la Chambre des députés (photo).
Ainsi, à la mi-vie de ce gouvernement, on se souvient du slogan électoral du parti qui le dirige : « Tu mérites mieux ! ». En effet, il n’y a plus qu’à attendre un meilleur sort, que même un remaniement ministériel ne saurait garantir.
Aziz Boucetta