(Billet 1008) - L'Occident a eu tout faux
Il est effarant de voir comment, en l’espace de quelques années seulement, la crédibilité de toute une plateforme morale, ou plutôt de ses porteurs, a pu s’effondrer. La guerre en Ukraine, puis les massacres de Gaza (et un peu en Cisjordanie aussi) ont eu raison de tous les discours moralistes des dirigeants occidentaux et ont fini la grande œuvre de sape entamée par George Bush Jr en Irak en l’an de grâce 2003. Aujourd’hui, l’Occident se fait tancer par ses ennemis, bien évidemment mais, aussi, étrangement, par ses amis.
Dès l’éclatement de la guerre en Ukraine, en février 2022, médias et chancelleries occidentales ont accusé la Russie de Vladimir Poutine de tous les maux de la terre et d’ailleurs. Une nouvelle doxa était née, reprenant celle de la Guerre froide, à savoir désigner le Russe comme l’ennemi civilisationnel et éternel de l’Occident. Seules quelques voix, vite muselées, osaient critiquer la politique américaine, otanienne et européenne à l’égard de Moscou durant les vingt-cinq dernières années. Mais l’information à sens unique et à charge pouvait se défendre, dans le cadre d’un conflit généralisé où chacun campe sur ses positions et accable l’adversaire, avec une certaine propension au mensonge et à la manipulation.
Le problème naît quand le bloc ouest s’en remet à l’ONU pour condamner la Russie. La première fois, début mars 2022, l’émotion aidant, l’astuce fonctionne à l’Assemblée générale des Nations Unies, mais lors des votes suivants, un nombre croissant d’Etats se désolidarisent des Occidentaux, considérant que ce qui se passe en Ukraine n’est pas leur guerre. Pour la première fois, l’Ouest, surpris, est désavoué avec éclat dans le monde. Puis cette « insoumission » planétaire métastase et infuse dans toutes les régions du monde. Le Sahel, puis l’Afrique centrale, versent dans l’orbite sino-russe, moins moralisatrice et plus efficace ; l’Arabie Saoudite et ses alliés du Golfe arabique se détachent de l’influence américaine, se rapprochent de Moscou et s’accrochent à Pékin, oubliant peu à peu puis de plus en plus vite le pacte du Quincy.
Puis l’Afrique, de plus en plus décomplexée, rejoint le reste du monde et œuvre à tourner le dos à l’Occident, ou du moins à s’en émanciper. Niger, Mali, Burkina Faso, République Centrafricaine et d’autres prennent leurs aises face à ce conflit et se rapprochent des Russes ou des Chinois. Le Maroc, pour sa part, maintient la relation traditionnelle avec l’Ouest mais renforce ses liens avec Moscou et Pékin. Sait-on jamais…
Arrive le 7 octobre, l’assaut du Hamas sur Israël, et la riposte féroce de l’Etat hébreu. 1.000, 5.000, 10.000, 20.000 morts, et les alliés occidentaux de Benyamin Netanyahou répètent ad nauseam qu’Israël-a-le-droit-de-se-défendre. Famine intentionnelle, bombardements aveugles, destructions d’équipement sanitaires, scolaires et universitaires, blocus strict empêchant tout d’entrer, et les dirigeants de l’Ouest maintiennent froidement, inhumainement, leur soutien inconditionnel, malgré une lente mais de plus en plus rapide bascule de leurs opinions publiques.
Il aura fallu un premier avis de la Cour internationale de Justice, ouvrant la possibilité de génocide, puis les déclarations chaque jour plus précises de responsables humanitaires de l’ONU, insistant sur le caractère possiblement génocidaire de l’invasion israélienne pour qu’Union européenne, France en particulier, et Canada infléchissent leurs positions de soutien aveugle à Tel Aviv ; puis, après examen des votes lors des primaires démocrates, Joe Biden change lui aussi à son tour de position, demandant (gentiment) à Israël de laisser entrer l’aide humanitaire à Gaza et regardant ailleurs pendant que le Conseil de sécurité votait sa première résolution contre Tel Aviv.
Mais le mal est fait et d’ores et déjà, pour l’Histoire si ce n’est pour la justice internationale, Joe Biden, Rishi Sunak, Olaf Scholz ou encore Emmanuel Macron seront tenus pour complices de génocide. L’Histoire n’oublie pas et elle retiendra que ces leaders teintés de rouge furent les témoins actifs et participatifs de ces crimes à grande échelle commis impunément sous les yeux du monde entier.
Mais en aidant Israël, les Occidentaux ont encore plus dégarni leurs arsenaux déjà mis à mal par deux ans de guerre en Ukraine ; ils ont donc revu à la baisse leurs livraisons d’armes à Kiev, où le président Zelensky commence à montrer des signes d’agacement, voire d’énervement, accusant les Occidentaux de duplicité et menaçant les Européens d’être les prochains sur la liste de Poutine, même si l’argument ne prend pas. De son côté, Benyamin Netanyahou et ses complices dans le génocide en cours haussent le ton contre les Occidentaux qui ont laissé voter cette résolution appelant à un cessez-le-feu ; les dirigeants israéliens, en privé, n’ont pas de mots assez durs pour ces Américains et ces Européens qui ne veulent plus les laisser agir à leur guise, en tuant le maximum de Palestiniens et en œuvrant résolument à expulser les autres.
Ainsi, le bloc ouest, jadis dominateur et porteur de valeurs qu’il a présentées et imposées comme universelles, se trouve plus isolé que jamais, empêtré dans ses contradictions et englué dans son implication de ce qui est déjà considéré comme potentiellement le premier génocide du siècle. Ils auront réussi « en même temps » à s’aliéner le monde, ou du moins à susciter sa grande méfiance, et à irriter leurs amis ukrainiens et israéliens.
Et au final, avec leurs opinions qui se retournent contre eux, MM. Biden, Sunak, Macron, Scholz et quelques autres moins importants, auront réussi le tour de force d’être complices d’actes criminels, de s’éloigner des autres pays du monde, de décevoir et énerver leurs amis ukrainiens et israéliens, et de ne même pas plaire à leurs électeurs ! L’Ouest le plus bête de l’Histoire ?
Aziz Boucetta