(Billet 1005) - Un somptueux soft power... mais si peu exploité !
Nous avons un problème avec nous-mêmes, les Marocains. Soit nous sommes très pudiques soit nous ne savons pas nous vendre... soit nous manquons d'ambition tout en clamant le contraire. Et pourtant, les arguments de promotion du royaume deviennent chaque mois plus importants, chaque année plus imposants. Prenons à simple titre d’exemples les champs culturels et sportifs… simple exemple car il y en a bien d’autres. Et voyons pourquoi nous pourrions faire mieux, si nous savions, si nous voulions, si nous déployions les efforts adéquats, avec les personnes idoines aux fonctions concernées.
Sur le plan du football par exemple, du seul football. Après le retentissant triomphe mondial de notre sélection nationale au Qatar, les succès se sont enchaînés, victoire amicale contre le Brésil, attribution de la CAN 2025 et du Mondial 2030 entre autres… et voilà qu’aujourd’hui, le Maroc a été désigné pour abriter les 5 prochaines compétitions du Mondial féminin U17 entre 2025 et 2029, et il recevra une vingtaine de matches (amicaux ou officiels) de pays africains ce mois de mars. Ce n’est pas un hasard, il y a du travail derrière et il faut en rendre grâce à Fouzi Lekjaâ, président de la FRMF (et accessoirement ministre du Budget). Il est certes possible que si le Maroc ait obtenu les 5 éditions U17 à venir, c’est possiblement parce qu’aucun autre pays n’en a voulu, et ce serait encore mieux et plus valorisant pour notre image de marque.
Que près de 20% environ des pays africains et de membres de la CAF aient décidé de venir jouer sur notre sol et sous notre éternel soleil est également significatif de l’attraction que le royaume exerce désormais, pour un certain nombre de choses. Inutile de chercher lesquelles, mais elles existent, sinon, malgré les plaidoiries les plus passionnées de M. Lekjaâ, on ne l’aurait que poliment écouté, avant d’opter pour un autre pays.
Sur le plan culturel, le festival Gnaoua Musiques du monde fête ses 25 ans. Tbaaaarkallah ! Cela fait donc 25 fois que, trois jours durant, les artistes, médias, diplomates, responsables en tous genres (politiques, économiques, académiques…), de très grands noms de la musique et d’autres domaines, viennent de tous les coins du monde en villégiature dans cette bonne ville d’Essaouira. Une villégiature qui prend de plus en plus l’allure d’une forme de pèlerinage culturel et festif, spirituel et convivial, devenu quasiment rituel. Pour cette 25ème édition, Neila Tazi, patronne du festival, annonce un partenariat avec l’une des plus prestigieuses universités de musique au monde, le Berklee College of Music… elle annonce aussi la création d’une chaire universitaire dédiée à la culture Gnaoua au sein du « Center for African Studies » de l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir (UM6P)… et elle rappelle la diffusion d’une édition du fameux magazine de la chaine américaine CBS, ‘’60 minutes’’, sur le Festival. Des dizaines de millions de téléspectateurs voient donc, aux Etats-Unis et dans le monde, Essaouira honorer l’africanité de la musique gnaoua, sublimer l’africanité et l’africanisme tout court.
Le Maroc est africain, ainsi revendiqué au sommet et de plus en plus assumé dans la société, les entreprises, l’université... C’est une place privilégiée que le Maroc a su conquérir,
mais qu’en fait-on ? Fouzi Lekjaâ et Neila Tazi font à eux deux, à eux seuls plus que n’importe quel autre organisme public, office ou ministère ne réussiraient à réaliser. Ce n’est pas de la pub, encore moins de la promo, c’est ce qu’on appelle le soft-power, et l’importance du soft-power réside dans le fait qu’une fois connu et reconnu, il impacte, il affecte, il imprime et imprègne. Durablement.
C’est un pouvoir d’autant plus fort qu’il porte avec lui la fierté de toute une société pour ces valeurs qui font et renforcent sa notoriété. N’avons-nous pas été fiers de notre équipe nationale à Qatar ? Ce n’était pas seulement pour le résultat (quoique…) mais aussi pour ces inoubliables valeurs véhiculées, et ce sont ces mêmes valeurs qui sont les nôtres. Ne sommes-nous pas fiers de savoir que nous accueillerons une CAN et un Mondial ? Ne sommes-nous pas fiers de savoir que ce festival Gnaoua Musiques du monde, avec l’association Yerma, ont fait de la culture gnaoua un patrimoine universel UNESCO ? Ne sommes-nous pas fiers de savoir que ce festival compte parmi les plus prestigieux au monde, des centaines de milliers de personnes déambulant en toute sécurité, sérénité et sonorités dans une ville devenue cosmopolite l’espace de trois jours ?
Nous nous faisons connaître par ce même soft power, nous attirons les gens du monde qui viennent et qui voient, qui retrouvent ce dont ils avaient entendu parler et ce pour quoi ils sont venus… mais en face, qu’avons-nous ?
Et bien nous avons 14 millions de touristes, dont la moitié de Marocains du monde, ce qui signifie que nous n’avons séduit et convaincu que 7 millions de touristes étrangers (50 millions en Turquie), ce qui est peu, très peu pour ce soft power et c’est encore moins face aux dizaines, aux centaines de millions de personnes qui, de par le monde, notre vaste monde, ont entendu parler du Maroc, dans ce qu’il a de meilleur, et seulement pour ces deux champs culturel et sportif. Combien d’investissements étrangers ? Un flux net des IDE s’élevant à près de 8 milliards DH au cours des onze premiers mois de l’année 2023 (soit une diminution significative de 66,7%)... une broutille. C’est peu, très peu comparé à ce qui aurait pu, peut-être, être attiré en capitaux car le capital, ce sont d’abord des hommes et des femmes qu’il faut séduire, et séduire quelqu’un, avec nos atouts et cette notoriété mondiale du Maroc, ne doit pas être bien compliqué, quand on sait et qu’on veut faire.
Tant d’autres domaines d’excellence, en plus de la position géographique, peuvent être mis en avant pour célébrer le Maroc, le faire connaître, dans ce monde ultra-mondialisé où lorsqu’on ne s’impose pas, on recule. Combien de Fouzi Lekjaâ, de Neila Tazi, de secteurs porteurs avons-nous encore dans ce pays, et pourquoi ne réussissons-nous à transformer l’avantage pour construire un secteur touristique véritablement attractif, pour multiplier et renforcer l’intérêt des investisseurs, au lieu de nous enorgueillir et de tambouriner bruyamment pour des réalisations qui ne sont pas les triomphes que l’on nous annonce avec tambours et youyous ? C’est la question à laquelle devraient s’atteler, sérieusement, un jour, nos gouvernants…
Aziz Boucetta