(Billet 994) – Quand la CGEM fait de la diplomatie à Nouakchott
Ce sont des informations comme on aimerait et on devrait plus souvent entendre, des relations économiques crédibles avec notre important voisin méridional, la Mauritanie, incontournable dans tous les sens du mot. On ne le dit pas assez souvent, mais sans nos amis mauritaniens, c’est tout simplement l’approche marocaine en Afrique, c’est-à-dire l’essentiel de sa stratégie, qui est remise en question. Et Nouakchott est très difficile d’abord.
Coincée entre ses deux grands voisins marocain et algérien, la Mauritanie a depuis si longtemps fait montre de prudence à leur égard qu’elle en a oublié qu’elle est elle-même dotée d’un potentiel économique considérable et de perspectives de développement très prometteuses. Avec ses réserves halieutiques, ses réserves en minerais (or, fer) et la récente découverte de gisements gaziers offshore, la Mauritanie, à peine peuplée de 4,2 millions d’habitants, peut envisager son avenir avec sérénité, un avenir golfique.
Mais les gouvernants mauritaniens sont pris dans un étau, entre un Maroc volontaire et désireux de s’étendre et se développer en Afrique de l’Ouest, et au-delà, et l’Algérie, empêtrée dans des problèmes économiques, sociaux et politiques, et qui fait de son hostilité avec le Maroc le fer de lance de sa diplomatie. En un mot, Rabat veut gagner de l’argent et Alger veut gagner des points, et à Nouakchott de faire son choix. Rude entreprise…
Alors, la Mauritanie, depuis longtemps, avance avec une prudence de Siou et ne fait pas un pas en direction d’un de ses voisins sans en faire un autre, en parallèle, avec son second voisin maghrébin. Ainsi, quand le chef de la diplomatie de Nouakchott atterrit à Rabat fin janvier 2024, c’est quelques jours après une visite en Algérie, et quand des dignitaires mauritaniens se déplacent au Maroc, c’est en concomitance avec des visites d’autres responsables du même pays en Algérie. La semaine dernière, quand une forte délégation de la CGEM marocaine se trouvait à Nouakchott pour concevoir, se concerter, prévoir, clarifier et mettre en place une « vision des projets d’investissement prioritaires » entre les deux pays, au même moment, les chefs d’Etat algérienne et mauritanien se trouvaient à la frontière entre les deux pays pour lancer une « zone franche », qui précédera d’autres zones, avec le Niger et le Mali. Cela ne signifie rien d’autre que cette obsession algérienne de faire comme le Maroc, ou de le « marquer au corps » dans toutes ses entreprises panafricaines.
Une lutte sourde fait rage aujourd’hui entre le Maroc et l’Algérie pour se projeter en Afrique. Le Maroc sait y faire, a des arguments et surtout un historique de co-développement, mais doit absolument emporter l’adhésion de la Mauritanie sans laquelle le Maroc africain, sahélien ou atlantique, sera impossible. Mais l’Algérie, qui n’a d’autre stratégie de développement que de contrecarrer celle de son voisin, fera tout ce qui en son pouvoir
--> pour empêcher cela, allant même jusqu’à œuvrer à s’assurer de la sympathie de la presse mauritanienne. Le président algérien, à Tindouf, en présence de son homologue mauritanien, a même ordonné la construction d’une maison de la presse mauritanienne, ce que le chef de l’Etat mauritanien, malin, a accepté de bonne grâce… mieux vaut ne pas froisser le très irritable M. Tebboune.
Tout le monde aura remarqué l’éclatante absence de la Mauritanie lors de la réunion à Rabat de Nasser Bourita avec ses homologues sahéliens, pour s’entretenir de l’avenir de l’initiative de désenclavement des pays du Sahel. Les Algériens s’en étaient réjouis, les Marocains donnaient des explications poussives et les Mauritaniens cherchaient à trouver le moyen de contenter Rabat sans mécontenter Alger, multipliant les déclarations aimables au Maroc et les propos gentils en Algérie.
Et c’est donc là toute la portée, l’importance et l’ambition de la mission de la grosse délégation de la CGEM conduite par son président Chakib Alj et s’inscrivant dans la nouvelle doctrine diplomatique marocaine : l’économie d’abord, l’économie ensuite, l’économie toujours, le reste suivra… Une doctrine qui a donné ses fruits avec d’autres pays, du continent ou d’ailleurs. La prospérité partagée ne se fait pas avec des poignées de main, même chaleureuses, mais avec de grosses poignées de dollars !
La question qu’il reste à poser est de savoir pourquoi cette délégation de la CGEM n’était pas accompagnée par les institutionnels politiques, en tête desquels des membres du gouvernement. Il semblerait que les ministres de l’Agriculture, de l’Eau, de l’Equipement, des Transports, de l’Energie, de l’Investissement, des Mines et bien d’autres encore aient des choses à faire en Mauritanie, demandeuse et prometteuse, mais capricieuse. Il n’est pas toujours certain de concrétiser une visite par des projets concrets, mais la présence est importante et même essentielle, ne serait-ce que d’un point de vue psychologique.
L’initiative africaine atlantique de Rabat est primordiale et celle du désenclavement du Sahel est cruciale, mais ces deux initiatives ne sont jusqu’à ce jour expliquées et présentées qu’à Rabat. Tout se passe à Rabat et rien, ou presque, n’est entrepris hors de Rabat. Et pourtant, en dehors de Bamako, Niamey et Ouagadougou, ce sont plusieurs autres capitales africaines qui sont concernées, en plus des capitales des pays de l’autre versant de l’atlantique.
Nouakchott devrait être bien plus présent au Maroc que dans des articles de presse, et inversement. Et si les dirigeants mauritaniens sont réticents ou hésitants, le Maroc a de bons atouts à faire valoir et d’encore meilleurs arguments à proposer pour enclencher une dynamique forte et irréversible. Dans le cas contraire, celui où nous restons enfermés chez nous, attendant que les autres nous rendent visite, et alors que d’autres œuvrent à saper ce rapprochement Rabat-Nouakchott, tout cela risque de se réduire à l’effet d’annonce.
Aziz Boucetta