(Billet 847) – Une majorité à reculons dans un Maroc qui veut avancer

(Billet 847) – Une majorité à reculons dans un Maroc qui veut avancer

Avec l’inflation qui prend ses aises au Maroc, les doutes des uns et les incertitudes des autres, il est temps et légitime de se poser la question de savoir s’il existe toujours une majorité qui gouverne. La majorité, ce sont les trois partis RNI, PAM et Istiqlal et dans un monde parfait, il eût fallu les entendre défendre tous les trois la politique du gouvernement, puisqu’il semblerait qu’il y en ait une. Las…

Dans une autre vie, nous avons connu un Nizar Baraka plus mordant, plus incisif pour critiquer le gouvernement face aux prix qui montaient, et c’était du temps où l’inflation était encore pudique. Aujourd’hui, le chef de l’Istiqlal ne critique pas le gouvernement, ce qui est normal, mais il ne le défend pas non plus, ou alors avec une confondante et remarquable ; il préfère défendre son « bilan hydrique », ce qui est encore plus normal, surtout qu’il est défendable. Très. Il est simplement dommage qu’au sein de l’Istiqlal, il y ait encore des gens comme Naam Miyara, chef de l’UGTM, président de la Chambre des conseillers, supposément « 4ème personnage de l’Etat », qui dise du dangereux n’importe quoi en matière de relations internationales, comme sa dernière sortie calamiteuse sur Sebta et Melilla.

Et il en va de même pour le PAM, si tant est que l’on puisse considérer le PAM comme parti, bien évidemment… qui ne défend pas le gouvernement, sa majorité et son chef.

En temps de crise, encore une fois, quand les choses fonctionnent normalement, on assiste à d’intéressants débats, de virulentes joutes, de grandes conférences… on entend des déclarations, de belles envolées, de délicieuses piques… Les politiques montent au créneau, font corps autour de leur chef, expliquent et décortiquent, argumentent et parlementent, le verbe haut et le geste leste.

Et surtout, avant tout et par-dessus tous, on voit en on entend le chef du gouvernement. Hélas, aujourd’hui, on doit se contenter de le voir siéger au bout d’une table de réunion et de remuer ses lèvres, comme s’il parlait.

Si les choses se passaient ainsi, les populations auraient pu avoir, les veinardes, le sentiment d’avoir un gouvernement, une équipe dirigeante qui voit les problèmes et entrevoit des solutions.

Mais là, aujourd’hui, chez nous, rien de tel. Le chef du gouvernement est dramatiquement absent, les ministres, pour les plus hardis, assènent des éléments de langage dépassés, et pour les autres, compatissent. Ce n’est plus un gouvernement, même plus une majorité, mais une liste de trois partis, ternes, peuplés de créatures subalternes.

Or, au commencement de cette étrange aventure gouvernementale, il y eut ce qu’on appela un pacte de la majorité, structurant et même...

savant. Il était question que les problèmes se discutent à plusieurs étages de responsabilité, que les solutions se pensent à plusieurs et que les déclarations soient aussi soigneusement et sérieusement calibrées que les tomates à l’export.

Même au sein du RNI, parti amiral de la flottille gouvernementale, on a l’impression d’un temps suspendu. Lorsque vous parlez à un dirigeant du parti, si tant qu’il y en ait autour de son chef, il vous servira les mêmes arguments de l’inflation mondiale, de la crise importée et de cette guerre en Ukraine qui a décidément bon dos. Il vous servira cela sans grande conviction et libre à vous de le croire ou non, il s’en moque comme il semblerait que son parti se moque de ses anciens électeurs.

Mais cette semaine, l’espoir renaît et tout le monde bloque sa respiration. La majorité se réunit pour causer de l’inflation. Après un ftour copieux dans un hôtel majestueux, les Grands de ce pays se retireront en conclave au siège du RNI (ce qui par ailleurs est normal), et parleront. Ils parleront de la crise, ils débattront des prix de Dame Tomate et de Sieur Oignon, ils conviendront de la conduite à tenir et des arguments à retenir.

Et au final, il semblerait que le problème de ce pays – qui en a déjà assez – est sa majorité gouvernementale et parlementaire. Pour dire les choses, crûment, cette majorité est formée de trois partis dont le moins que l’on puise en dire est qu’ils ne se font aucunement confiance et qui roulent chacun pour lui-même, en attendant 2026. Le RNI, encore surpris par sa surprenante victoire électorale en septembre 2021, essaie de se maintenir à flot ; le PAM, conscient d’être passé près du succès l’année dernière, avance en rangs tellement serrés que ses cadres jouent au coude-à-coude pour en découdre le moment venu. Et l’Istiqlal, créé voici longtemps, joue sur le temps long et avance avec une certaine sérénité vers les prochaines échéances, capitalisant sur les déconvenues du RNI.

Tout cela aurait été anecdotique et somme toute normal dans la vie politique d’un pays, si ledit pays n’avait placé si haut la barre de ses défis internes (protection sociale, réforme de l’éducation, refonte de la santé, promotion du monde rural, révolution techno…) et surtout externes (forte rivalité africaine avec la France, qui n’apprécie pas, inquiétante conflictualité avec son irascible et bilieux voisin algérien, implication résolue en Afrique, bras de fer avec l’Europe, spectaculaires renouement avec Israël et rapprochement avec Washington…).

Tout cela, au domestique et à l’international, aurait été bien plus fort avec une majorité bien plus forte.

Aziz Boucetta