(Billet 840) – ''L’Europe est le continent le plus brutal, le plus sauvage''
L’époque que nous vivons, avec ses menaces de types nouveaux, est aussi celle des « chaises musicales » géopolitiques, où les alliances évoluent, d’autres se nouent et d’autres encore se renforcent. Il est parfois utile de revenir sur la grande Histoire pour bien connaître ses amis ou mieux appréhender ses alliés, et de reconvoquer la mémoire collective pour savoir avec exactitude avec qui on commerce.
A ce titre, il est intéressant de revenir sur les récents propos tenus par l’ancien président français Nicolas Sarkozy : « De tous les continents, l’Europe est le continent le plus brutal, le plus sauvage et il peut verser dans la barbarie » et, précise l’ancien chef de l’Etat, « ce n’est pas au Moyen-âge, c’est au 20ème siècle ». Très intéressant ce témoignage, apporté par quelqu’un de l’intérieur, un homme qui a lui aussi, participé à cette « sauvagerie » en Libye et en Côte d’Ivoire, en 2011 et qui, au crépuscule de sa carrière, fait amende honorable, comme son prédécesseur Jacques Chirac qui, lui aussi une fois hors de l’Elysée, avait reconnu le pillage de l’Afrique par son pays.
Et puisque nous parlons d’Europe, et donc de l’Occident, le tableau n’en sera plus complet si on ajoute les Américains, qui sont essentiellement des descendants des colons européens dans le Nouveau Monde. Et sur ce continent américain, les Occidentaux, les Européens, ont commis deux génocides. Pas un, deux. Les autochtones de l’Amérique centrale, proprement décimés par Hernan Cortès (« Cortès the killer », chantait tristement Neil Young) puis, quelques siècles plus tard, celui des Amérindiens. On estime ces génocides à plusieurs millions de morts, dont personne ne parle aujourd’hui, pas plus que l’on ne s’enorgueillit de la phase esclavagiste qui a suivi sur deux siècles environ (15 millions de déplacés, 1,7 million de morts).
Puis il y a eu la colonisation, la fameuse « période civilisatrice » allant de la seconde moitié du 19ème siècle à la fin de la première moitié du 20ème. Là aussi, tueries de masse, génocides, déportations, mutilations, exécutions, exterminations, sous couvert de développement et de civilisation. Les puissances occidentales ayant conquis une grande avance sur les autres civilisations du fait de la révolution industrielle et de ses corollaires financiers et militaires, se sont projeté partout dans le monde, mais essentiellement en Afrique et en Asie. Le 19ème siècle est connu pour être celui des « humiliations », Chine, Inde, Indochine, démantèlement des royaumes et empires d’Afrique, Congo « propriété personnelle du roi Léopold II…
On en arrive au 20ème siècle évoqué par Nicolas Sarkozy, avec ses deux guerres mondiales, ses guerres d’indépendance, son Holocauste, avec une mention spéciale pour la boucherie de Verdun, l’utilisation du gaz de combat en Europe et dans le Rif, et bien évidemment le largage de deux bombes atomiques sur un Japon déjà défait. N’oublions pas également les quelques millions de morts lors de la guerre de Corée, sur instigation américaine, et bien sûr la guerre du Vietnam avec le napalm et autres joyeusetés technologiques, comme l’uranium appauvri utilisé dans les deux guerres du Golfe, ainsi qu'en Serbie et au Kosovo.
Toutes les civilisations sur tous les continents ont eu leurs guerres et leurs conflits frontaliers ou entre pays voisins et antagoniques, mais nulle part il n’y eut de Guerre de Cent Ans, ou même de Trente Ans, pour des questions dynastiques ou confessionnelles…
nulle part, il n’y eut autant de génocides avec plusieurs millions de morts, conduits avec méthode et rigueur… nulle part il n’y eut extinction de pleines communautés comme les Amérindiens… nulle part, il n’y eut de phrase aussi terrible que la fameuse « tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ! »…
Et, ne se suffisant pas de cela, ou plutôt pour renforcer leur pouvoir sur le monde et leur emprise sur les humains, les Occidentaux ont régenté le monde depuis plus d’un siècle, le recouvrant des réelles grandes et éminentes valeurs des philosophes et humanistes des Lumières. Cette régence du monde s’opère sous le nom générique de « droit international », un ensemble de règles faites par l’Occident, pour l’Occident, et défendu par toujours le même Occident. Qui continue aujourd’hui, attaquant en meute, défendant en bande et affichant une admirable solidarité des uns envers les autres. L’invasion juridiquement illégale de l’Irak en 2003, sur mensonges avérés, n’a donné lieu à aucune poursuite pénale ni condamnation publique, de même que l’attaque franco-britannique sur la Libye en 2011 ou encore l’implication des forces françaises en Côte d’Ivoire en 2011. Paris, Berlin, Londres regardent ailleurs quand Washington déploie ses forces pour ses intérêts, et inversement. Quant à Israël, entre mur de séparation, violence et annexions successives, avec une totale impunité, il laisse penser qu’il vit dans une autre planète ; l’Occident se rachète sur le compte des Palestiniens de ses centaines de pogroms sur plusieurs siècles et de son inaction face à la Shoah.
Et tout cela se poursuit encore en Ukraine, une guerre dont le monde aurait pu faire l’économie si les Américains ne voulaient affaiblir la Russie, laquelle est tombée dans le piège, passant pour l’agresseur, ce qu’elle est. Mais en coulisses, tirant les ficelles et manipulant tout le monde, c’est du côté de Washington qu’il faut chercher les vraies raisons de cette guerre qui ruine le monde. Et aujourd’hui encore, l’Europe et les Etats-Unis se barricadent derrière leurs frontières, érigeant des clôtures de barbelés coupants, laissant des migrants crever noyés dans la mer, élaborent de savantes politiques de reconduite, enferment dans des camps, tirent à balles réelles, expédient au Rwanda… mais garde pour elle les cerveaux utiles, dans une nouvelle forme de pillage des ressources. Et tout cela se fait ou s'est fait avec l'assentiment des populations européennes, américaines, qui continuent de donner crédit à tout ce que la propagande de leurs Etats leur assène, dans ce que Serge Tchakhotine a si justement appelé « le viol des foules ».
Mais aujourd’hui, le monde tire profit de cette guerre en Ukraine pour relire les codes qui ont jusque-là régi les relations internationales. La Chine offre une alternative, des puissances régionales émergent ici et là, ressuscitant les anciens empires, et les Occidentaux apparaissent pour ce qu’ils ont en réalité toujours été, violents et exclusifs.
Si Chine et Russie ne sont aujourd’hui pas exemplaires – qui l’est et qui peut prétendre l’être ? – en matière de respect des autres et de leur droit à exister et à prospérer, elles ne s’en cachent ni ne se présentent comme modèles, à l’inverse des pays occidentaux dont l’histoire est écrite en rouge et qui, aujourd’hui, dans une actualité toujours aussi rouge, donnent des leçons de conduite à un monde qui a, entretemps, compris leur réalité.
Aziz Boucetta