(Billet 838)–Deux ans pour un viol d’enfant, répété, en réunion…il y a un sérieux problème !
L’histoire ne dit pas si les violeurs d’une fillette de 11 ans dans la région de Tiflet, condamnés à seulement deux ans de prison par une cour de justice de Rabat, ont aussi reçu les félicitations du jury ! Ils étaient trois hommes âges de 30 à 40 ans, à s’être alternés pour violer l’enfant, plusieurs fois, jusqu’à leur arrestation après le constat de grossesse, et l’accouchement d’un petit garçon. Deux ans !
Et pourtant, le code pénal, dans ses articles 486 et suivants, prévoit des peines de prison allant jusqu’à 30 ans de prison. Mais non, deux ans ! Les trois hommes ont violé la fillette à plusieurs reprises et fait aggravant, ces actes se sont tenus devant une autre mineure, et ils ont menacé de tuer la famille de leur victime si elle les dénonçait. Deux ans ! Aujourd’hui, une gamine de 13 ans est mère d’un enfant d’un an et la justice, face aux criminels, a dit son mot : deux ans ! Pire, un test ADN a confirmé la paternité d’un des trois hommes ; il n’empêche, deux ans !
Victor Hugo disait qu’ « il se passera du temps encore avant que la justice des hommes ait fait sa jonction avec la justice », il disait vrai... Lorsqu’ on condamne un violeur d’enfant(s) à 2 ans, voire même 10 ans de prison, alors l’ignominie de celui qui viole n’a d’égale que l’irresponsabilité de ses juges. Oui certes, un juge doit être respecté et prémuni contre toutes formes d’attaques ou de critiques, mais jusqu’à un certain seuil ! Quand on touche à l’innocence d’un enfant, plus personne n’est innocent ni intouchable.
Il est temps de le dire, clairement, ou de le redire mais en insistant, nous avons un problème avec notre justice. Quel que soit l’effectif – qu’on suppose, qu’on espère réduit – de nos juges incompétents ou pire, il pose problème…
Il pose problème au corps de la magistrature lui-même, dont les membres seront heurtés de savoir que dans leurs rangs prospèrent des gens qui n’y ont pas leur place, mais qui y restent…
Il pose problème à la population car, comme le dit le rapport NMD, « un sentiment d’insécurité judiciaire et d’imprévisibilité limite les initiatives, et la justice pâtit d’un manque de confiance de la part des citoyens ». Et sans sécurité judiciaire, il ne peut y avoir de confiance dans le présent ni d’espoir dans l’avenir, et il n’est donc pas de possibilité de développement, ni dans le présent ni dans l’avenir.
Il pose problème car les Marocaines et les Marocains continueront de s’en aller de ce pays qui ne protège pas son enfance, leurs enfants, avec une éducation mauvaise, avec une santé mauvaise, et avec une justice mauvaise… un pays qu’on veut tant aimer et pour lequel
on accepte tant de sacrifices mais auquel personne n’est prêt à sacrifier ses enfants.
Il pose problème car aux termes de l’article 124 de la constitution, « les jugements sont rendus et exécutés au nom du Roi et en vertu de la loi » et qu’avec des jugements iniques, c’est l’image du Roi qui est écornée et la force de la Loi qui est altérée.
Il pose problème car une femme violée qui porte plainte peut se trouver condamnée pour « mauvaise conduite », « provocation », « mœurs légères » ; elle ne cherche donc pas la protection de la justice et, ce faisant, elle laisse les autres potentielles victimes de son violeur sans protection.
Il pose problème car, avec les condamnations légères des violeurs et la tendance lourde des autorisations de mariages des mineures, les femmes demeureront indéfiniment comme une simple « moitié » des hommes.
Il pose problème car les investisseurs étrangers continueront de douter de nous et nos jeunes hésiteront à s’investir.
Comment un juge, investi d’une mission quasi « sacrée », jouissant en principe du respect et de l’estime de tous, peut-être même père, peut-il donc oser se permettre de prononcer un jugement de deux ans contre trois violeurs trentenaires d’une fillette de 11 ans, l’un d’eux étant même identifié comme père ?!
L’affaire est trop douloureuse pour qu’elle soit crédible, vraie. Que faire dans ce cas ? Attendre une réaction du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire pour rapporter la réalité des faits ? Cela ne se fait généralement pas. Supposer qu’une enquête interne sera ordonnée et menée par les « gradés » de la justice ? En quoi cela aiderait-il la victime ? Prier Dieu pour que ces juges, s’ils ont failli, soient sanctionnés ? Cela ne sert plus à rien.
On parle doctement de la force de la chose jugée, qui interdit de remettre en cause ce qui a été définitivement jugé. Certes, le jugement n’est sans doute pas encore définitif, mais en attendant qu’il le soit, peut-on même vraiment parler d’un jugement ? Que les violeurs pédophiles soient condamnés plus lourdement par d’autres instances judiciaires ne doit pas masquer le fait qu’une cour marocaine avec des juges marocains a estimé que deux ans de prison sont suffisants pour les actes commis.
Un juge, de par l’aura qu’il détient dans la cité, de par son inviolabilité, de par sa prééminence, de par le prestige de sa fonction, de par la responsabilité qui est la sienne, dispose de bien des privilèges. Il doit aussi être soumis à des contrôles, des jugements, des évaluations, des sanctions à la mesure de ces privilèges.
On ne peut confier le sort d’une société et de sa justice à des gens qui ont un faible sens de la justice. Et pour atteindre cet objectif, nul besoin de budget ou de grande cogitation. Une simple décision suffit.
Aziz Boucetta