(Billet 834) – Il se prépare quelque chose entre Rabat et Washington…

(Billet 834) – Il se prépare quelque chose entre Rabat et Washington…

Il se passe quelque chose entre le Maroc et les Etats-Unis. Beaucoup de faits, de rencontres, de visites… bien des rumeurs, des spéculations, des attentes… mais pas d’information sur l’objectif ultime de toute cette agitation, dans un monde en mutation. Seule chose qui paraît certaine, avec le Maroc, l’Amérique de Joe Biden a longtemps tergiversé, livrant des armes, mais pas les plus récentes, apportant son soutien, mais pas trop, louant les vertus du royaume, mais l’accablant à l’occasion ; et dans le monde remuant qui est désormais devenu le nôtre, le Maroc cherche et se cherche…

Aujourd’hui, les Etats-Unis, malgré leur puissance économique, leur force militaire, leur avance technologique, patinent… La Chine présente pour eux un problème existentiel, et les relations Pékin-Moscou s’affirment et enferment l’Europe, qui accepte de revenir dans le giron économique et géopolitique américain. L’Indopacifique bascule lentement dans la sphère d’influence chinoise, et si ce n’est pas sûr, c’est quand même peut-être, et même un peu plus… En Afrique, la Chine a pris une avance confortable et difficilement rattrapable et le récent retour en puissance et en treillis des Russes sur le continent y conforte l’implantation de Pékin et ouvre de grandes perspectives à Moscou.

Alors les Américains viennent en Afrique, avec la conscience de places à conquérir mais aussi la prescience des difficultés à venir. Le rapprochement avec le Maroc entre dans ce cadre, élargi à la zone Mena puisque cette entente d’un type nouveau s’est concrétisée dans le désormais fameux Accord Tripartite USA-Maroc-Israël, signé fin 2020. Depuis, et suite à l’arrivée de Joe Biden et d’Anthony Blinken, les choses n’avancent pas vraiment, les Américains hésitant, un pas en avant, un autre en arrière, faisant une sorte de surplace que Rabat essaie de briser.

Puis l’histoire s’accélère avec la guerre en Ukraine et les Américains multiplient les actes et actions en direction de l’Afrique, couronnés par le sommet USA-Afrique de décembre 2022 à Washington, mais ponctués d’actes diplomatiques et géostratégiques marocains, qui ne passent pas inaperçus en Amérique. Avec le Maroc plusieurs événements se sont produits ces derniers mois, augurant d’évolutions certaines dans les relations.

Courts prolégomènes : d’octobre à décembre 2020, établissement d’un important accord de défense et de coopération militaire entre Rabat et Washington, avant la signature de l’Accord tripartite en décembre de la même année.

1/ 13 octobre 2022, signature d’un accord de coopération entre Moscou et Rabat dans le domaine de l'utilisation de l'énergie nucléaire. L’accord inclut des transferts de technologie et une assistance pour l’exploitation des mines d’uranium. C’est sans doute un effet d’annonce, mais l’annonce a fait son effet,

2/ 17 octobre 2022, visite à Rabat du général commandant l’Africom Michael Langley,

3/ 8 novembre 2022, visite à Washington du général Belkhir El Farouk, inspecteur général des FAR,

4/ 13 janvier 2023, visite d’une délégation bipartisane du Congrès, avec la présence du sénateur républicain Dan Sullivan, que l’on retrouve plus bas,

5/ Février 2023, tensions dans les Territoires occupés, manifestations inédites en Israël et appels de certains


officiels israéliens à une annexion de facto de la Cisjordanie ou au questionnement du statu quo sur les Lieux Saints de Jérusalem : le Sommet du Néguev qui doit se tenir au Maroc est reporté,

6/ 21 février 2023, le patron des DGST/DGSN Abdellatif Hammouchi reçoit à Rabat le directeur du FBI Christopher Wray, après avoir reçu le 19 spetembre 2022 Avril Haines, directrice du renseignement national américain, et après qu’il se soit rendu à Washington pour y rencontrer les mêmes personnes,

7/ 27 février 2023, une délégation de sénateurs américains atterrit à Rabat et fait la tournée des décideurs. Parmi les élus venus, le faucon républicain et ancien militaire Lindsay Graham et le président du comité des Affaires étrangères Bob Menendez. Ce dernier, aujourd’hui membre de la Commission des forces armées, vient de demander le transfert du siège de l’Africom d’Allemagne au Maroc.

8/ 5 mars 2023, visite du chef d'état-major des armées américaines Mark Milley a Rabat, où il a été reçu par Abdellatif Loudiyi, ministre de l'Administration de la Défense et le général Belkhir El Farouk, inspecteur général des FAR ; il venait d’Israël,

9/ 11 mars 2023, reprise des relations entre Riyad et Téhéran ; le Maroc est directement concerné car, ayant rompu en 2018 ses relations diplomatiques avec Téhéran et entretenant des liens aussi étroits que passionnels avec l’Arabie Saoudite, il ne s’est pas encore prononcé sur ce rapprochement entre les deux grandes puissances rivales du Moyen-Orient,

10/ 14 mars 2023, Nasser Bourita reçoit un appel de son homologue russe Serguei Lavrov,

11/ 16 mars 2023, le sénateur Dan Sullivan, ancien Secrétaire d’Etat assistant sous Bush Jr, plaide en pleine audition de la Commission des forces armées du Sénat, pour un transfert du siège de l’Africom d’Allemagne au Maroc,

12/ 20 mars 2023, visite de Nasser Bourita à Washington et rencontres avec Anthony Blinken et de « mystérieux » hauts responsables à la Maison Blanche,

13/ 20 mars 2023 toujours, publication du rapport annuel du Département d’Etat sur les droits de l’Homme dans le monde. Un non-évènement car il s’agit d’un rapport régulièrement publié, épinglant tout le monde, et émanant d’un pays qui a désormais perdu son statut de temple de la démocratie et de la défense des droits (1er en termes de rapport de la population carcérale à la population totale, affaires de violences policières, assaut du 6 janvier 2021sur le Capitole, trucages et tripatouillages en série des élections…).

Alors, ces visites croisées de hauts dignitaires anciennement militaires et de militaires de très haut rang, les menaces qui pèsent sur le monde en général, l’Afrique et sa zone Sahel en particulier, les relations tendues avec Paris et détendues avec Moscou et Pékin, la dangereuse irascibilité algérienne, et en l’absence de toute communication officielle (ce qui, dans ces cas-là, se justifie)… tous ces évènements, en six mois, ne peuvent pas être fortuits, et sont sans doute porteurs et annonciateurs d’un événement qui pourrait être annoncé prochainement. Le silence de la diplomatie marocaine en atteste…

Aziz Boucetta