(Billet 818) – Le lobbying, ou l’art de lober l’adversaire

(Billet 818) – Le lobbying, ou l’art de lober l’adversaire

Avec ce scandale appelé Marocgate, l’occasion est donnée de revenir sur la question du lobbying déployé par le Maroc pour défendre ses intérêts et atteindre ses objectifs. Pour nos « amis » européens, le royaume est un corrupteur. Non, il fait juste du lobbying, sauf preuve contraire et surtout crédible. Il faut donc passer au-dessus de ces procès d’intention, lobant ainsi les adversaires.

L’origine du mot est anglosaxonne et le lobby désignait le lieu où les groupes d’intérêts s’activaient, et s’activent encore, pour orienter la réflexion des décideurs, influencer les choix des consommateurs, défendre une cause ou même en combattre une autre. Le lobbying étant une activité qui nécessite des frais, l’utilisation de l’argent va vite conduire vers un amalgame avec la corruption, qui est une forme de lobbying, pressé et/ou insistant…

Au parlement européen, où le Maroc est accusé de corrompre à tour de bras, il faut admettre que le pays est également attaqué, sans relâche, sur à peu près tout : droits humains, espionnage, migrations, Sahara… Mais les intérêts du royaume transcendent les seuls députés européens qui, comme chacun sait, n’ont de véritable pouvoir que celui de chercher à en avoir. Les intérêts géostratégiques du Maroc sont ailleurs, autonomie de décision, projection en Afrique, relation avec ses ressortissants en Europe et, bien sûr, Sahara.

Il faut comprendre et admettre que ces ambitions du royaume ne peuvent être acceptées par les chancelleries occidentales car elles bousculent un ordre établi ancien. Sans préjudice pour le maintien d’une diplomatie offensive, il appartient donc au Maroc d’aller vers les opinions publiques, en usant des moyens d’influence convenus ; dans cet objectif, il se doit de chasser en meute, faisant intervenir en convergence ses médias, ses intellectuels, ses diplomates retraités, aussi expérimentés que désœuvrés, sa communauté à l’étranger, sa production cinématographique…

Convaincre l’opinion publique de certains pays et se rapprocher de celles des autres est important pour, à terme, agir et influer sur les classes politiques de tous ces Etats. Et bien évidemment, une telle politique doit être imaginée, conçue et mise en place par notre pouvoir politique, qui doit accepter d’impliquer toutes les personnes à même de convaincre. Convaincre qui ? Leurs correspondants à l’étranger, universités, corps constitués, leaders politiques en devenir, professions réglementées, médias… Une action d’envergure menée selon une conduite globale où tout le monde intervient auprès de tout le monde.

Aujourd’hui, le lobbying du Maroc est confié à des organismes ou à des personnages dont c’est le métier. Ils sont rémunérés et donc intéressés, mais rémunérer quelqu’un pour accomplir une tâche ne signifie pas qu’il en soit...

convaincu. L’objectif supérieur du client, en l’occurrence le Maroc, est réduit à un simple chiffre d’affaires pour le lobbyiste, étant entendu que si l’objectif du premier est primordial et crucial, le chiffre d’affaires du second, en cas d’échec, est remplaçable car simplement commercial.

Il importe donc de défendre ses objectifs par la conviction de ceux qui en sont chargés, et c’est là qu’interviennent les nationaux, envoyés en missi dominici auprès des personnes ou des organes/organismes concernés.

Or, cela a déjà été dit mais mérite d’être redit, notre diplomatie fonctionne en cercle privé et selon une approche exclusive. Seuls les diplomates en exercice ont le pouvoir de porter nos objectifs dans le monde, alors même que les autres, même les parlementaires, ne semblent pas soutenus par notre diplomatie, d’où le revers du parlement européen. Si cet échec ne porte pas vraiment à conséquence, l’institution de Strasbourg ne servant pas à grand-chose, d’autres revers peuvent être plus préjudiciables.

Les Marocains brillent par leur absence au sein des grands organismes internationaux et dans les cercles plus étroits, ici et là. Par manque de conviction ? Non, mais plutôt du fait de l’absence d’une politique et d’une approche soigneusement pensées, appuyées par des moyens adéquats, humains et financiers.

Il appartient donc à notre pouvoir politique de cesser de penser que les objectifs géopolitiques du pays sont de son seul ressort. D’autres personnalités peuvent et doivent être impliquées, dans le cadre d’une politique publique exclusivement dédiée à cela. Les institutions et corps constitués, la société civile et les universités, en Europe et ailleurs, doivent être approchés par les nôtres, des contacts noués, des échanges institutionnalisés, des visites au Maroc programmées… Et cela doit se faire continuellement, hors crise, auprès de tous. Et nul besoin de corrompre car, hors les corrompus, les autres peuvent être convaincus, à la condition qu’on engage les personnes et les moyens académiques nécessaires.

Nous avons bien des think-tanks au Maroc, mais seul le Policy Center for the New South se projette vraiment à l’international, avec ses chercheurs marocains et étrangers, sur les cinq continents. Nos ministres ne voyagent pas assez en Afrique, nos universitaires n’ont pas les moyens d’aller à la rencontre de leurs confrères, nos parlementaires voyagent pour le plaisir, nos médias sont désargentés, notre production culturelle est insignifiante, nos cercles de réflexion n’ont pas les moyens de s’ouvrir…

C’est à cela qu’il faut trouver une solution et à ceux-là qu’il faut permettre de se déployer et de dérouler leurs plaidoyers car le lobbying, n’en déplaise aux Européens, n’est pas seulement de l’argent.

Aziz Boucetta